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Somalie

L'impossible assistance humanitaire

Dix après l’opération «Restore hope» conduite par l’armée américaine en Somalie, la situation humanitaire ne s’est pas améliorée et les rares travailleurs humanitaires encore présents sont confrontés aux pillages, au racket et à l’insécurité permanente.
De notre envoyée spéciale en Somalie

Le talkie-walkie grésille. La voix de l’infirmier, Hassan, appelle «Nico, Nico». Urgence. Deux heures du matin. Nico Heijenberg, le médecin de Médecins Sans Frontières-Suisse, s’habille dans la faible lueur des lampes alimentées par la batterie solaire. On réveille les gardes et le chauffeur. Il file dans la nuit, à l’hôpital de Dinsor. Quatorze lits dans un ancien bâtiment d’un centre vétérinaire. Il n’y a pas d’électricité et Nico opère avec une torche. Le médecin travaille jour et nuit. Il soigne ceux et celles qu’il peut, avec les moyens qu’il a. Cinquante consultations par jour. Une «clientèle» potentielle de 25 000 habitants, sans compter les nomades et les déplacés par les derniers combats de Baidoa, la capitale de la région du Bay, à 100 km de là. Cependant, ce ne sont pas la charge de travail, la modestie de l’équipement, et les 24 heures de disponibilité qui pèsent le plus lourdement sur les épaules de Nico, mais «le fait d’être sans arrêt escorté par des hommes en armes. Même pour aller acheter une canette de coca-cola frais, chez l’épicier du coin».

Difficile de vivre sans escorte, quand on est employé dans une organisation humanitaire en Somalie. Même à Dinsor, où la paix clanique règne depuis quelques années déjà. Dans certains endroits, les mesures de protection ne concernent pas seulement des expatriés et leurs installations, mais aussi des Somaliens à la tête d’«administrations» ou de programmes d’assistance de santé et de nourriture, considérés comme stratégiques, puisqu’ils recèlent des produits négociables.

«On ne peut pas travailler à long terme en Somalie, en raison des problèmes de sécurité» estimait récemment le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Reconnaissant l’acuité des besoins de la population, il engageait cependant les dirigeants à faire un effort en matière de lutte contre le banditisme et la criminalité. Sa déclaration intervenait après une énième prise d’otages d’agent des Nations unies en poste à Mogadiscio.

La crainte des enlèvements crapuleux

Peu d’expatriés se risquent aujourd’hui dans cette ville, par crainte des enlèvements crapuleux. Depuis l’attaque contre les bureaux de MSF-Espagne en mars 2001, et le kidnapping de 11 personnes, ils ont appris à écourter leur séjour. On confie les programmes dans la capitale à des employés locaux. Quatre sœurs infirmières, d’origine italienne -«des Bibles Blanches» dira un Somalien amateur de métaphores, travaillent dans l’un des hôpitaux de la ville, et vivent en permanence dans un quartier sécurisé. Ce sont là les dernière représentantes d’une aide internationale, qui se montait à 2,5 millions de dollars par jour, du temps de l’ONUSOM (1992-1995). «Elles se déplacent sans escorte et elles sont très respectées».

Echaudées par les multiples incidents, les agences des Nations unies n’emploient plus que 100 expatriés, actifs sur le terrain, pour 400 «locaux». Quand les activités nécessitent des réunions nationales, tout le monde est convoqué à Hargeisa, au Somaliland, région autoproclamée indépendante depuis 1991, dotée d’un gouvernement, d’un président et d’une administration, et qui connaît un essor économique fabuleux. Les autres organisations non gouvernementales, parmi lesquelles, paradoxalement, des organisations chrétiennes, ont sélectionné des régions où elles peuvent opérer à moindre risques.

«Si les responsables somaliens veulent qu’on aide la Somalie, ils doivent prouver leur capacité à nous assurer une protection». Florence Gillette d’Action contre la Faim a plié bagage, après un dernier pillage dans l’une des deux missions qui restent à l’organisation française, celle de Luuq, à la frontière avec l’Ethiopie. Elle a la rage au cœur, et le découragement en bandoulière. Tout comme Laura Melo du Programme alimentaire mondial. Un chargement de vivres, arrivé au port de Merca ce 23 novembre, a mis trois semaines pour parvenir dans le sud-ouest du pays, au village de Wajir, confronté à une vague de déplacés de Baidoa. En temps normal, le convoi de 24 camions n’aurait mis que trois jours pour parcourir la distance. Mais, il y avait 40 barrages de «sécurité» sur la route. Les accompagnateurs du PAM ont parlementé des heures: chaque groupe de miliciens cherchant à prélever des taxes, ou à vouloir «étendre leur protection» jusqu’au prochain point de contrôle. «Au préalable, nous avions négocié notre passage avec toutes les autorités des différentes zones. Ils n’ont pas été capables de respecter leurs engagements».

«Le chantage, le racket, le pillage sont insupportables». C’est officiellement pour lutter contre ces fléaux que l’opération «Redonner l’espoir» avait été conçue, il y a dix ans, au moment même où les organisations humanitaires parvenaient, à force de persuasion, à distribuer l’aide alimentaire. L’apport remarquable des troupes de l’UNITAF et de l’ONUSOM (50 000 hommes) a été d’assurer l’acheminement de celle-ci de façon massive et dans un court délai. Une opération de cette envergure est impensable aujourd’hui. L’assistance, que certains Somaliens perçoivent comme une marchandise importée, ou comme un dû, ne sera possible que si les autorités locales, les forces militaires et de police, s’engagent fermement à la faire respecter. Pour cela, elles doivent apprendre à repenser à la notion d’intérêt collectif. Une idée perdue par beaucoup, depuis très longtemps.

Ecoutez Gérard Prunier, l'invité de la rédaction (09/12/2002)

Ecoutez Marion Urban (09/12/2002)



par Marion  Urban

Article publié le 11/12/2002