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Somalie

Les enfants de la guerre déposent rarement les armes

Il y a dix ans dans la nuit du 8 au 9 décembre, les soldats américains débarquent sur les côtes somaliennes. C’est le début de l’opération «Restore Hope», une opération humanitaire, relayée par les Nations unies, qui restera dans les mémoires comme un échec retentissant de l’aide internationale. Depuis le retrait des casques bleus, en 1995, la Somalie a disparu des manchettes des journaux. Eclatée en régions autonomes, divisée par les conflits, dotée d’un gouvernement cantonné dans la capitale, sans Etat, sans administration, elle se cherche un avenir. Dans ce marasme, détenir une arme constitue souvent la clé de la survie. Ils sont quelque 40 000 à en vivre.
De notre envoyée spéciale à Mogadiscio

Abdukarim se dit «politicien». Veste couleur sable, tenue de camouflage, kalachnikov en main. Silhouette nerveuse. Prunelles noires. Regard farouche. Le défi personnifié. Le qualificatif qu’il emploie «claque» comme un lapsus. Abdukarim est milicien. «Un jour, je serai chef de mon clan, et puis président de la Somalie». Caricature du combat que se mènent les chefs de faction et les hommes d’affaires de son pays.

Ils seraient 40 000 «soldats de hasard» comme Abdukarim dans toute la Somalie, dont la moitié basée à Mogadiscio, la capitale. Leurs «responsables» sont la plupart du temps d’anciens policiers et militaires de l’armée du dictateur déchu, Siad Barre; certains relèvent du grand banditisme. Mais, il y en a d’autres: la cohorte d’enfants, élevés dans la violence, grandis avec un colt, puis un fusil, une mitraillette, un mortier, un lanceur de missile; toute l’échelle de la quincaillerie mortelle en guise de diplômes. Encouragés par la famille à défendre le clan, ou tombés dans la guerre avant de comprendre. Souvent issus de la campagne, quelquefois de la ville.

«J’avais huit ans. Mes parents étaient morts. Je me suis débrouillé avec un revolver. Je faisais partie d’un groupe de quarante «indépendants» au check-point d’Afgoye (une bourgade à la croisée des deux routes principales somaliennes actuellement toujours sous contrôle de deux groupes différents de miliciens)» raconte Samar Hussein. «Tu t’es servi de ton arme?» La poitrine se creuse comme sous l’effet d’un uppercut: «je ne me souviens pas, j’étais trop petit». Abdoulaye Hassan lui, avait choisi, dans l’arrogance de ses 18 ans, et sûr de son impunité, de se poster au bout de sa rue «pour trouver à manger». Aujourd’hui, après avoir renoncé aux armes, il est parti vivre ailleurs ; mais lorsqu’il se rend au centre-ville de Mogadiscio pour suivre les cours d’électricité de la Fondation Elman, il lui arrive de croiser ses victimes.

Le chômage et l’absence d’école alimentent les troupes de miliciens

Peu d’organisations ont eu le courage de se lancer dans des programmes de démilitarisation en Somalie depuis dix ans. Pourtant, le désarmement était la première revendication de la population à l’arrivée des marines américains en 1992. Ces derniers se contenteront de démanteler quelques grosses caches d’armes avant de déclarer que «la guerre est finie». Puis, ils emprisonneront symboliquement le trafiquant Ali Osman Ato (qui, à la tête d’une énorme fortune, siège aujourd’hui à la conférence de réconciliation nationale de Eldoret). Les casques bleus français récupèreront quelques 10 000 armes dans leur zone d’opération, mais les Nations unies en resteront là. Le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali récuse cette partie du mandat des soldats de l’ONU.

L’absence d’administration, notamment d’écoles, et le chômage continueront d’alimenter les troupes des miliciens. Les familles encouragent leurs enfants, garçons et filles, à servir les intérêts du clan. Jusqu’à ce que «un jour, mon fils est revenu du vidéo club après avoir vu un film, en me demandant ce qu’était un policier… j’ai réalisé d’un seul coup tout ce que nous étions en train de perdre», raconte un père de famille. Cette prise de conscience va gagner de nombreux parents, éprouvés par la pérennisation de la guerre et usés par l’incapacité des chefs de faction à respecter leurs engagements. Lorsque l’Unicef proposera aux anciens fonctionnaires de l’Education de mettre au point un programme commun du cycle élémentaire, il rencontrera l’adhésion de tous. «L’éducation est le meilleur moyen de préserver nos enfants du conflit, de les empêcher de prendre les armes. Il est de l’intérêt des clans de compter sur des membres instruits, capables de prendre des décisions, et de leur offrir un avenir» expliquera le directeur d’une des 600 écoles primaires qui fonctionnent en 2002 dans le sud somalien. Mais pour les aînés, la tâche est plus rude.

«Dépose les armes, prend ton stylo». Avec ce slogan, la Fondation Elman, -du nom d’un jeune homme d’affaires assassiné par les chefs de guerre, engagé dans un programme d’enfants des rues dès 1992- entend convaincre les jeunes de retourner à une vie professionnelle normale. Soutenu par quelques organisations internationales, la fondation a pu former 120 ex-miliciens aux métiers d’électricien, de mécanicien, et de chauffeur ainsi qu’au travaux de secrétariat et de télécommunication. Dans la ville côtière de Merca, l’association IIDA a poursuivi le même effort : 150 «soldats de hasard» ont rendu leurs armes, et sont retournés sur les bancs de l’école. Certains travaillent aujourd’hui dans une ferme collective. Une goutte d’eau dans l’océan ! Pourtant, ces actions apparaissent indispensables dans une perspective de paix. Face aux 18 miliciens de l’escorte qui se sont postés à l’entrée de la villa de la fondation, dans l’attente de la fin de l’entretien, Abdulaye Hassan, interrogé sur leur présence, dira : «Ils n’ont pas d’humanité».



par Marion  Urban

Article publié le 09/12/2002 Dernière mise à jour le 08/12/2002 à 23:00 TU