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Mariages forcés

«Pour le malheur, et pour le pire»

(Photo : DR)
(Photo : DR)
Pour la première fois le Conseil de l’Europe étudie la question des mariages forcés, un fait de société qui touche l’ensemble de l’Europe, à la fois pour cerner les mécanismes sociaux en œuvre dans ces pratiques, connaître l’ampleur du phénomène et déterminer les mesures à lui opposer. Jeudi 4 et vendredi 5 novembre, le Mouvement français pour le planning familial planche donc dans le cadre de ces journées internationales de réflexion sur les mariages forcés, le Haut conseil à l’intégration estimant à plus de 70 000 le nombre des adolescentes vivant en France, et victimes de ces pratiques.

On se souvient du livre choc de Leïla «Mariée de force» (Oh !éditions) en juillet dernier. Leïla, une jeune fille d’origine maghrébine résidant en France, a choisi de briser la loi du silence, de témoigner sur «des choses que tout me monde sait mais que personne ne dénonce», et de lancer un appel pour que cesse ces calvaires. On se souvient aussi de Fatoumata, une jeune lycéenne sénégalaise, qui, en 2000, n’était pas revenue des vacances passées au pays d’origine. Séquestrée par des parents qui n’acceptaient pas sa relation avec un Blanc, elle a pu s’enfuir, regagner la France, et créer une association pour venir en aide à toutes celles qui, comme elle, voient leur droit à disposer de leur vie bafoué au nom de la tradition. Comme Leïla et Fatoumata, elle seraient 70 000 victimes aujourd’hui en France d’après les chiffres officiels fournis par le Haut conseil à l’intégration.

Le tabou se lève grâce à quelques femmes qui osent parler, et des associations qui militent pour dissiper le secret. Isabelle Gillette-Fayez, présidente du groupe femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles (Gams), souligne que ces mariages contraints ne sont pas «un phénomène marginal qui toucherait quelques familles restées archaïques. (Mais que), en France aujourd’hui, 70 000 adolescentes d’origine immigrée, âgées de 10 ans à  18 ans, sont mariées de force ou menacées de l’être, les plus touchées étant originaires de Turquie, d’Afrique subsaharienne (Mali, Mauritanie, Sénégal) et d’Asie (Cambodge, Vietnam, Pakistan, Sri Lanka) et du Maghreb. Souvent réservées dès avant leur naissance. Une garantie pour pouvoir ‘apprendre, avec le temps, à aimer leur mari’». Ces mariages, une fois conclus, virent souvent au cauchemar: jeunes filles soumises à des viols répétés, et à des violences conjugales assorties d’un cortège de dépressions, de grèves de la faim voire de tentatives de suicide.

Pour quelle raison les parents marient-ils leurs enfants sans consentement ? La plupart du temps ils se disent persuadés d’agir pour le bien de leur progéniture, et s’affirment soucieux de perpétrer la tradition en respectant leur culture d’origine. Dans une enquête menée par le Parisien, en 2000, il pourrait quelquefois aussi s’agir de «stratégie pour l’obtention de papiers lorsque les époux imposés viennent de l’étranger». Pour quelle raison les jeunes femmes obtempèrent ? Souvent battues, humiliées, voire enfermées, ces femmes sont exposées à toutes sortes de violences, et Isabelle Gillette-Fayez explique: «en dépit de l’éducation républicaine et laïque qu’elles ont reçue, elles ont été élevées dans le respect de la parole des aînés, et dans l’obéissance absolue au père».

Les lois de la démocratie contre les lois claniques

Si la diversité culturelle est une chance à saisir pour une démocratie, ce n’est pas la moindre des contradictions que de voir des violences revendiquées par les uns -et quelquefois acceptées dans la soumission par d’autres- au nom de la tradition et du respect des diversités culturelles. Le débat doit en fait porter sur le principe démocratique de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. La députée démocrate-chrétienne zurichoise Rosmarie Zapfl-Helbling qui a lancé le débat au Conseil de l’Europe, tient à souligner qu’ «il ne faut pas accuser l’islam, les mariages forcés ne concernent pas que des familles musulmanes, d’ailleurs l’islam ne les préconise en rien». «Dans les sociétés traditionnelles les relations hommes/femmes sont régies par des lois qui l égalisent la domination du masculin sur le féminin. Dans les sociétés où les luttes des femmes l’ont contesté, elles ont obtenu des avancées, mais la différence entre les sexes reste hiérarchisée et les droits des femmes sont remis en question à chaque instant» déclare-t-on au Planning familial, expliquant qu’ainsi «les jeunes femmes vivant en France et nées de parents migrants ne trouvent pas dans la société d’accueil les appuis nécessaires et suffisants pour argumenter, contester ou rompre avec les codes représentés par les parents et obtenir l’accès à leurs droits individuels».

Que peut-on donc mettre en place pour lutter contre ces pratiques ? Il existe bien des textes internationaux. Ainsi le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a édicté en mai 2002 une recommandation sur la protection des femmes contre la violence. Mais peu d’Etats l’ont appliquée à ce jour. «Les lois ne sont pas suffisantes, s’exclame Rosmarie Zapfl-Helbling qui défend le droit des femmes depuis 40 ans, il faut avant tout sensibiliser l’opinion publique et les autorités, car le problème est méconnu. Seules les personnes engagées dans l’aide aux victimes et les jeunes filles traumatisées connaissent la question». Selon plusieurs intervenants à l’audition d’Anvers, c’est surtout la «volonté politique» d’appliquer les décisions prises pour empêcher ces mariages forcés qui ferait effectivement défaut. La loi ne suffit pas. La sensibilisation passe par la prévention, l’éducation et la libération de la parole dans les collèges et les lycées, mais aussi par la médiation avec les jeunes filles concernées et leurs familles.

Isabelle Gillette-Faye, sociologue, témoigne « aujourd’hui les jeunes filles osent davantage se rebeller contre leur sort car elles ont grandi en France et ont une autre vision du couple. Elles ont aussi besoin d’aide pour affirmer leur choix». Les multiples associations qui luttent sur le terrain et aident les jeunes filles à sortir de leur situation s’appellent entre autres «Femmes solidaires», «Gams», «Les nanas beurs et 1001 femmes», «Voix d’elles rebelles», «Voix de femmes», ou encore «Association Fatoumata pour l’émancipation des femmes». «Nous devons aider les jeunes filles à faire changer ces pratiques de l’intérieur», précise Sakina Balha du Fond d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild). Par ailleurs, depuis juin 2004, un groupe de travail interministériel est créé, et des parlementaires se mobilisent autour de Nicole Ameline, ministre de la Parité et de l’Egalité professionnelle: «la loi est dans son rôle quand elle fait évoluer les consciences, surtout quand il s’agit de violences caractérisées».



par Dominique  Raizon

Article publié le 04/11/2004 Dernière mise à jour le 04/11/2004 à 17:43 TU

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Chahla Beski-Chafiq

Sociologue

«Le danger c’est qu’avec une définition très large de mariage arrangé on ira camoufler une réalité existante. »

[04/11/2004]

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