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Société

Mariages forcés : le tabou éclate

Pour la première fois, les parents d’une jeune Malienne qui avaient arrangé le mariage de leur fille mineure ont été mis en examen pour «complicité de viol». De plus en plus de jeunes filles immigrées mariées contre leur gré dénoncent ces pratiques qui demeurent malgré tout très courantes dans certaines communautés.
En quelques jours, deux nouvelles affaires de mariage forcé ont été dénoncées en France. Une jeune lycéenne de 19 ans qui n’était pas rentrée chez elle à la fin de ses cours, a finalement été retrouvée 24 heures après sa disparition. Elle avait décidé de fuir de son domicile par peur d’être mariée à un homme choisi par ses parents issus de la communauté arméno-syrienne. La police l’a identifiée alors qu’elle errait dans une gare du sud de la France sans savoir où aller. Paniquée, elle a raconté son histoire et a été mise en lieu sûr.

Une autre jeune fille a eu moins de chance qu’elle. En juillet 2001, ses parents d’origine malienne ont organisé son «mariage traditionnel» avec un homme de 32 ans qui leur avait versé la somme de 610 euros en guise de dot. A peine âgée de 15 ans, la jeune fille a été violée dès le soir de la cérémonie et a dû se soumettre pendant des mois aux caprices sexuels de cet homme particulièrement violent sans que personne ne se préoccupe de son sort. Incapable d’évoquer cette question avec sa famille, elle s’est confiée à une assistante sociale qui l’a aidé à échapper à ce calvaire en lui trouvant une place dans un foyer de la région parisienne. Une enquête judiciaire a été ouverte et le juge a mis le mari en examen pour viol et les parents de la jeune fille pour «complicité de viol».

«Moi, j’ai fait cela pour le bien de ma fille»

Il s’agit d’une première. Jusqu’à présent, les parents n’avaient pas été poursuivis dans ce genre d’affaires. Pour Isabelle Gillette-Faye, directrice du Groupe des femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS), cette décision représente «une avancée, même si dans les faits, c’est plus la pression extérieure que la décision du père ou de la mère» qui a conduit à cette situation. En effet, elle estime que les parents n’ont généralement pas du tout conscience du sacrifice qu’ils imposent à leurs enfants. «Les mères viennent nous dire, moi j’ai fait cela pour le bien de ma fille… La grande majorité d’entre elles acceptent la pression sociale». Quant aux pères, ils ne conçoivent même pas que l’on puisse remettre en cause leur autorité. Ce que d’ailleurs, les jeunes filles ne font pas ouvertement. Lorsqu’on leur annonce leur mariage, elles ne répondent rien. «Pour les parents, cette absence de réponse correspond à un oui, pour les jeunes filles à un non».

Dans ce contexte, Isabelle Gillette-Faye souhaite une condamnation des parents de la jeune fille d’origine malienne «a minima au versement d’une amende pour qu’elle soit reconnue comme victime». Prison avec ou sans sursis, c’est le juge qui tranchera. Dans de telles affaires, les jugements sont difficiles à rendre. Les coutumes constituent-elles une circonstance atténuante ou doit-on juger sur les seuls faits, le débat n’est pas clos. Il n’empêche que la situation dramatique des jeunes filles concernées doit être au centre des débats. Selon le GAMS, elles sont aujourd’hui 70 000 à être menacées de mariages forcés en France. Les plus jeunes peuvent être âgées de seulement 11 ans et les plus vieilles de 21 ou 22 ans. Ces jeunes filles sont issues de toutes les communautés africaine, maghrébine, turque, asiatique, tsigane.

Prises au piège d’une éducation mise sous le signe de la soumission, sans interlocuteurs compréhensifs au sein de leur famille, elles n’ont que peu de recours pour échapper à la fatalité de ces mariages forcés. Dans ce contexte, Isabelle Gillette-Faye explique que «le bouche à oreille fonctionne de plus en plus». Un cousine, une copine a entendu qu’une assistante sociale, une association avait aidé une autre jeune fille et en parle à l’intéressée. «Dans le cas du GAMS, nous avons plus demandes d’aide qui interviennent avant le mariage qu’après. Si la jeune fille est mineure, nous faisons un signalement à l’aide sociale à l’enfance et au procureur. Si elle est majeure, nous avons recours à d’autres mesures de protection comme, par exemple, le contrat jeune-majeur, qui permet une prise en charge financière des jeunes filles de moins de 21 ans».

Dans la quasi-totalité des cas, il est nécessaire de sortir les jeunes filles de leur famille pour éviter des mesures de rétorsion, brutalité ou retour express au pays. Les réactions des parents peuvent, en effet, être violentes. Certains ne parviennent pas à supporter cette opposition et «les mettent à la porte». Pour éviter le mariage forcé, elles prennent le risque d’être mises au ban d’une famille au sein de laquelle elles avaient souvent vécu sans problème jusque-là. D’autres fois, elles réussissent quand même à maintenir des liens avec un membre de leur famille et à renouer le contact au bout d’un temps. Dans tous les cas, les jeunes filles vivent plusieurs traumatismes. Comment lutter contre ces pratiques et éviter des situations dramatiques ? Isabelle Gillette-Faye estime qu’il «faut avant tout en parler». «Nous intervenons dans les établissements scolaires, dans les centres de protection maternelle et infantile, les associations de femmes africaines…» Peut-être faut-il aussi que la justice condamne.

A écouter :
«Un mariage arrangé, sans aucune valeur juridique»
Papier de Christine Muratet (29/05/2002)

Appel sur l'actualité
Les réactions des auditeurs de RFI. Magazine présenté par Juan Gomez (29/05/2002).



par Valérie  Gas

Article publié le 28/05/2002