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Société

L’héritage linguistique des immigrés en danger

En France, 5,5 millions d’adultes, immigrés ou issus de l’immigration, ont, dans leur enfance, communiqué avec leurs parents dans une langue étrangère. Seul un tiers d’entre eux a transmis cet héritage à ses propres enfants. Cette attitude, explicable par un souci d’intégration est aujourd’hui remise en cause.
La transmission des langues d’immigration dans l’enfance et leur retransmission à la génération suivante a fait l’objet d’une enquête spécifique lors du dernier recensement de la population française en 1999. Les résultats, analysés par l’Institut national de la statistique (Insee) et celui des études démographiques (Ined) sont là : 940 000 adultes vivant en France ont été élevés dans une famille où un des parents, ou les deux, leur parlaient en arabe, 580 000 en portugais, près de 500 000 en espagnol, presqu’autant en italien. Cet héritage linguistique, souvent associé au français, concerne aussi les langues asiatiques, balkaniques, africaines. Au total 5,5 millions de personnes, soit plus des trois quarts des personnes nées à l'étranger et la majorité des personnes élevées en France par des parents nés à l’étranger.

Plus l’immigration est ancienne plus la pratique de la langue d’origine en famille devient occasionnelle et non plus habituelle par rapport au français. C’est pourquoi on assiste à une diversification des langues liée à celle des courants migratoires et l’apparition de langues comme le khmer ou le lao, le peul, le wolof ou le tamoul.

Mais l’enseignement principal de l’enquête est l’érosion de la transmission à la génération suivante. Les parents qui ont reçu une langue étrangère dans l’enfance ne sont plus que 35% à faire de même pour leurs enfants. Le français supplante alors la langue d’origine et sa pratique, en famille, ne devient plus, une fois sur deux, qu’occasionnelle.

Perte de richesse

Les chercheurs s’inquiètent de cette déperdition de la richesse linguistique disponible en France. Même si elle s’explique, comme le fait Jean-Michel Eloy, professeur à l’Université de Picardie, région anciennement minière et longtemps terre d’accueil pour l’immigration. «Perdre la langue», analyse-t-il, «était vécu comme une nécessité il y a quelques décennies, l’école y a fortement contribué». De fait, la théorie reconnue était que la langue d’origine empêchait une bonne scolarité en français et compromettait les chances d’intégration. En quelque sorte le prix à payer pour l’ascension sociale. Cette attitude est désormais contestée d’autant qu’on enregistre maintenant chez les adultes «le regret de la langue, le regret de ne pas l’avoir apprise ou transmise».

Mais, plus grave encore, les chercheurs, tels Jacqueline Biliez, linguiste à Grenoble, ont observé que ceux qui parlent une langue issue de l’immigration ne se considèrent pas du tout comme bilingue car cette langue, acquise en famille et pas à l’école, n’a pas de statut légitime. Ainsi, beaucoup de Français ont des notions plus ou moins étendues d’une langue étrangère au moins à l’oral, sinon à l’écrit, qu’ils ne revendiquent pas.

Pire encore, surenchérit Dominique Caubet de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), l’arabe maghrébin, parlé par 20 000 à 24 000 jeunes par classe d’âge n’est même pas considéré par les intéressés comme une langue mais comme un dialecte, un patois. Ne faisant pas l’objet d’un enseignement spécifique dans le cadre scolaire, comme l’anglais, l’arabe maghrébin n’a pas plus la reconnaissance de la société que des locuteurs eux-mêmes.

C’est cette situation que les promoteurs du plurilinguisme, richesse culturelle et avantage dans le cadre de la mondialisation économique, voudraient contribuer à modifier. En valorisant la connaissance des langues sans établir de manière radicale la distinction classique entre plurilinguisme des élites, des minorités ethniques, des migrants ou encore des frontaliers.



par Francine  Quentin

Article publié le 21/02/2002