Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Société

«<i>L'euthanasie, un débat inexistant en Afrique</i>»

Alors que les Pays-Bas viennent de légaliser l'euthanasie, que la Belgique pourrait suivre cette voie dès l'an prochain, la question de la «mort douce» prend de plus en plus d'acuité en Europe. Vu d'Afrique, ce débat apparaît comme un luxe réservé aux pays médicalement privilégiés, où l'on a, en outre, les moyens de pratiquer l'«acharnement thérapeutique». Un entretien avec le sociologue togolais Sami Tchak, auteur de plusieurs essais sur les m£urs africaines (dernier ouvrage paru : Place des Fêtes, Gallimard).
RFI : L'euthanasie fait-elle débat, en Afrique, ou bien est-ce un sujet réservé aux pays riches et médicalement nantis ?
Sami Tchak : Effectivement, je ne crois pas que l'euthanasie soit un problème qui puisse se poser sur notre continent. Nous avons un rapport à la mort différent. Nous sommes peut-être un peu trop en présence de la mort pour que l'on intègre l'euthanasie dans le débat sur la mort en Afrique. Surtout actuellement, alors que sévissent des épidémies comme le sida qui imposent la mort au quotidien, on n'a même plus la possibilité d'introduire un débat comme celui-là. Je pense que ce serait un luxe qu'on puisse en arriver là nous aussi, qu'on puisse avoir l'esprit à ça. Ce serait l'expression d'une certaine aisance collective dans la gestion de la maladie et de la santé publique.

RFI : C'est un sujet tabou ?
ST : Je ne dirais pas tabou, car cela voudrait dire qu'on en a conscience et que la culture ne permet pas son expression. C'est, en fait, un sujet inexistant. Autant on en parle ici en Europe, autant en Afrique ce n'est jamais formulé comme une réalité sociale.

«Ce n'est pas un sujet tabou, simplement il est inexistant»

RFI : Malgré tout, y a-t-il des cas d'euthanasie, même peu nombreux ?
ST : Je ne dirais pas qu'il n'y en a pas, même si je n'en ai jamais eu écho. Je pourrais imaginer que du fait de l'état physique dans lequel certains malades se trouvent aujourd'hui, avec ces nouvelles maladies comme le sida, des familles aient pu demander au médecin d'aider leur parent à mourir dignement.

RFI : Est-ce que la vision de l'euthanasie en Afrique est la même quelle que soit la religion, musulmane, chrétienne, ou animiste ?
ST : Peut-être pas. Je ne crois pas que la question pourrait se poser de la même manière si on l'introduisait dans le débat. Je pense que la religion, parfois comme élément essentiel de la culture, modifierait la façon dont chaque groupe pourrait le percevoir. Chez les musulmans et les chrétiens, par exemple, l'euthanasie serait une transgression religieuse, dans la mesure où nul ne peut donner la mort. En revanche, il se peut qu'on n'ait pas la même vision des choses dans certaines sociétés où l'islam et le christianisme n'ont pas cours, et où on pratique parfois des mises à mort rituelles ou symboliques pour faute grave ou pour des cas de démence socialement dangereuse. Mais, encore une fois, ce ne sont là que des hypothèses, puisque le débat sur l'euthanasie est inexistant.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 11/04/2001