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Expo photo

Sebastião Salgado au pays du café

Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud. 

		(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud.
(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Sebastião Salgado connaît bien les plantations de café, car son père était transporteur de café, et avant de se consacrer entièrement à la photographie, il travaillait lui-même comme économiste pour l’organisation mondiale du café (OMC). Par ailleurs, Sebastião Salgado aime les gens, et il doit sa notoriété à des à des photos illustrant les conditions de vie des citoyens globalisés malgré eux, les workers. Le photographe brésilien, reconnu pour être un des plus grands photographes humanistes, célèbre donc dans cette exposition In principio («Au commencement») le travail astreignant des cultivateurs dans les plantations de café, et le travail minutieux des journaliers dans les manufactures.
Ferme de café.Propriété Ossoor. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004. 

		(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Ferme de café.Propriété Ossoor. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004.
(Photo : Sebastião Salgado pour illy)

Dans un récit photographique lyrique en noir et blanc, qui rappelle les gravures romantiques du XIXème siècle, Sebastião Segaldo raconte avec poésie les gestes rituels et experts des hommes et des femmes qui cultivent, cueillent, sèchent, et sélectionnent grain après grain les fèves avant d’en remplir de gros sacs en toile de jute pour l’exportation. Si le caféier est aussi appelé «l’arbre à dollars», on oublie que le petit noir au fond de nos tasses à café est une potion amère pour ceux qui l’arrachent à la terre. Sebastião Salgado a donc choisi de rendre toute leur dignité à ces travailleurs de la terre, soulignant l’harmonie qui lie les hommes et la nature, donnant à voir des paysages, mais aussi le temps, la vie, et le travail rythmés par les cycles de la terre et des éléments.  

L’exposition n’est pas didactique, c’est un récit fait d’hommes et de femmes. Ils sont en file indienne sur un chemin de terre qui grimpe, dans la nature luxuriante et nourricière, la petite gourde à la taille évoquant la chaleur de manière métonymique. Dans une clairière plombée par un soleil cru, se dessinent quatre silhouettes ponctuées de gros sacs de jute sur la tête comme des i. Une femme se confond avec les feuilles dans la forêt, le geste dans le prolongement des branches, comme si elle était une femme végétale. Ici, les rais de soleil filtrent à travers les feuillages denses, nous sommes à l’ombre des arbres de haute futaie où poussent les caféiers; là, sous un ciel nuageux et dans une lumière vespérale, un sac voltige entre deux paires de bras tendus comme le trait d’union d’un travail d’équipe qui ne compte pas ses heures.

Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004. 

		(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004.
(Photo : Sebastião Salgado pour illy)

Une exposition centrée sur le versant ‘humain’ des exploitations

Une salle est réservée à quatre clichés sur des plantations brésiliennes comme un contrepoint aux clichés effectués sur les plantations indiennes. Du Brésil, on découvre la récolte du café dans la plantation de Casa grande (région de Congresso Castelo, Etat de Esperito Santo), dans la région de Alto Caparao (Etat de Minas Gerais), dans le domaine de Ricardo Brunoro (Etat de Esperito santo), et le transport du café à dos de mulet dans les montagnes de Congresso jusqu’à la route. Les arbres se dressent au milieu des plaines, les vues sont aérées. Contrairement à ces vastes espaces ouverts, les plantations d’Ossoor, d’Albana, d’Arabidacool, ou de Doddengudda se font à l’ombre des forêts où poussent les caféiers de la région de Karnataka. Une femme debout dans un rayon zénithal fait figure d’apparition bienveillante au milieu des femmes assises, tout occupées au premier tri des «cerises rouges » dont elles extrairont ensuite la fève verte. Cette deuxième sélection aura alors lieu après séchage, dans les espaces fermés des hangars où l’atmosphère est raréfiée, et où s’active une ruche très ordonnée. Sebastião Sagaldo s’en explique : «la différence qui marque les photos n’est pas quelque chose que j’ai choisi, moi, mais qui tient à la réalité de ces deux pays. Au Brésil, les arbres sont au milieu des plaines, le paysage est ouvert. En Inde, on travaille à la sélection des grains à l’ombre. Nous sommes en présence d’un café qui grandit sous les arbres, très protégé. La lumière est renfermée, immobile. Il y a moins de nature sauvage, et il y a plus de personnes, l’attention est toute portée sur le versant ‘humain’ ; tandis qu’au Brésil, le travail du nettoyage des grains est désormais mécanisé, en Inde on le fait encore à la main et à l’intérieur».

Peu de portrait dans l’exposition, qui montre surtout une fourmilière appliquée; toutefois, deux gros plans sont saisissants, l’un d’un homme buriné qui croise le regard du visiteur sans que ce dernier puisse s’y soustraire, et sur lequel se lit la fatigue, et l’autre, d’un homme qui, les mains jointes, offre en premier plan des grains de café tandis qu’à l’arrière plan on voit un tombeau: il s’agit de la tombe d’un chef musulman, Bababudan (étymologiquement : le sage, l’ancien, le chef), vénéré pour avoir importé en Inde le café, une manne pour le pays. Ces photos sont chargées d’émotion, car déclare Sebastião Sagaldo «Je n’ai jamais cru, pendant que je photographiais, qu’il fallait se tenir à distance du sujet. Il faut plutôt maintenir intactes ses propres émotions, et ne jamais s’éloigner de ses propres sentiments. (…) Il faut trouver le juste équilibre entre la tête, la raison, l’instant et le cœur. Une photo est un fait subjectif. On photographie avec l’idéologie, avec ce que l’on sent, ce que l’on aime et ce que l’on pense».

Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004. 

		(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Allana Coffee Curing Works. Etat du Karnataka, Inde du sud, janvier 2004.
(Photo : Sebastião Salgado pour illy)
Sebastião Segaldo est un photographe qui se sert de son Leica pour dire ses émotions et ce qu’il pense, et très impliqué dans les causes humanistes et sociales: non satisfait d’avoir témoigné du mouvement des Sem Terra qui luttent contre la déforestation de son pays, il a fondé l’institut Terre au Brésil, un projet éducatif et social pour la reforestation et l’éducation écologique des agriculteurs. De manière tout à fait symbolique, l’exposition In principio est accrochée, à Paris, à la chapelle de l’Humanité. Créée en 1900 par des mécènes brésiliens, cette chapelle est un monument historique, considérée comme un panthéon a-théologique consacré aux grands personnages de l’humanité, selon le vœu du philosophe Auguste Comte, fondateur de la sociologie. La dignité des petites gens célébrées par Sebastião Segaldo trouve toute son amplitude dans cette chapelle réservée aux grands hommes.

Après une première exposition consacrée aux plantations brésiliennes, présentée à Rome (Italie), et à Sao Paulo et Belo Horizonte (Brésil), au cours de l’année 2003-2004, l’Inde est à l’honneur à Paris jusqu’au 14 novembre, à la chapelle de l’Humanité. L’exposition se poursuivra en 2005 en Inde du sud, dans l’Etat de Karnataka sur les lieux mêmes de la plantation où les photos ont été composées.


par Dominique  Raizon

Article publié le 09/11/2004 Dernière mise à jour le 09/11/2004 à 15:11 TU