Sommet de la Francophonie: Ouagadougou 2004
Abdou Diouf: «La culture est devenue un enjeu politique majeur»
(Photo : AFP)
DR
RFI: La Francophonie a-t-elle une contribution spécifique à faire valoir sur la question du développement durable et de la solidarité, et laquelle ?
Abdou Diouf: Nous avons volontairement mis en avant dans le thème de ce dixième Sommet la notion de solidarité. C’est à la fois une valeur essentielle de la Francophonie, et un fil conducteur pour notre conception du développement durable et la mise en œuvre de nos actions dans ce domaine. Les grands rendez-vous internationaux, en particulier le Sommet de Johannesburg, ont bien montré que les approches traditionnelles du développement, trop réduites à la dimension économique, devaient être renouvelées. Ce travail progresse, et il est encourageant de constater que de nouveaux acteurs s’y impliquent. Je pense par exemple au Nepad qui traduit cette volonté nouvelle des Africains de se prendre en charge, et de mettre sur la table leurs orientations et leurs projets. Je pense aussi à la participation de plus en plus active des sociétés civiles dans ce mouvement, qui se révèle être un réel enrichissement. La grande nouveauté, c’est que le développement durable n’est plus une affaire d’experts et de technocrates. C’est l’affaire de tous et c’est un sujet qui se popularise.
Dans ce contexte, la Francophonie veut convaincre que la lutte contre la pauvreté a davantage besoin de solidarité et que notre communauté doit en la matière être un exemple. La solidarité implique avant tout que nous devons mettre au premier plan la lutte contre les inégalités. Elle nécessite aussi une concertation plus forte, une convergence pour donner aux pays les plus pauvres les moyens de réussir leur insertion dans l’économie mondiale.
Le deuxième volet de la contribution francophone repose sur notre conviction que le développement durable, celui qui doit impérativement s’imposer à la mondialisation en cours, englobe bien sûr le développement économique, l’environnement et la gestion des ressources naturelles, mais aussi le développement social et l’éducation, la démocratie et les droits de l’homme, ainsi que, j’insiste sur ce point novateur, la diversité culturelle et linguistique. Il est clair qu’aujourd’hui on ne peut plus traiter séparément chacun de ces piliers fondamentaux du développement.
RFI: Deux thèmes apparaissent prioritaires, aujourd’hui, pour la Francophonie: celui de la diversité culturelle tout d’abord. Qu’a-t-on obtenu, et qu’entend-on obtenir dans les mois qui viennent autour de ce chantier ?
AD: Le message du Sommet de Beyrouth sur le dialogue des cultures était très fort et il a été entendu par la communauté internationale. Il a contribué à une prise de conscience nouvelle que la paix, la sécurité et le développement devaient reposer sur l’échange, le dialogue et le partage, ce qui implique le respect des identités des peuples. C’est là la dimension oubliée de la mondialisation. C’est en ce sens que la culture, au sens large du terme, est devenue un enjeu politique majeur.
La Francophonie s’est lancée dans la bataille avec ces valeurs. En rassemblant d’abord. Nous avons renforcé et élargi la coopération entre les grandes aires linguistiques et culturelles et le dialogue avec les grands réseaux culturels internationaux. Nous avons avec nos partenaires mis en place un espace original de réflexion et de proposition sur les enjeux géoculturels que nous avons choisi de baptiser «Forum permanent sur le pluralisme culturel». Notre ambition est de traiter ces enjeux géoculturels avec la même importance que celle accordée aux enjeux géopolitiques et géoéconomiques, avec lesquels ils ne sauraient être confondus.
Dans cet esprit, nous avons appuyé fortement le projet de convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques à l’Unesco, en comptant bien que ce texte soit adopté en 2005, et qu’il soit un garde-fou effectif capable de protéger et de promouvoir la diversité culturelle linguistique qui est réellement menacée.
RFI: La démocratie et les droits de l’homme: n’est-ce pas un domaine où la Francophonie a toujours à prouver sa crédibilité ? Va-t-on privilégier la médiation, le conseil et l’accompagnement, plus aisé à mettre en œuvre au plan politique ? ou la Francophonie entend-elle donner une traduction plus concrète aux mécanismes de régulation (et d’admonestation) conçus depuis Bamako ?
AD: Votre manière de poser le problème n’est pas juste. La Francophonie n’est pas l’ONU! Elle n’a pas de bataillons, elle n’est ni un gendarme, ni un pompier! Il faut lire attentivement le texte de la Déclaration de Bamako, qui est le cadre de référence de nos actions politiques. D’abord il y est dit que la démocratie et les droits de l’homme doivent se construire solidement et durablement. Et c’est exactement ce que nous faisons avec la mise en place des réseaux institutionnels francophones, qui depuis le Sommet de Beyrouth se sont notablement renforcés et commencent à produire leurs effets. Ensuite la Déclaration de Bamako préconise d’agir prioritairement dans les domaines de la coopération, de la prévention et de l’alerte précoce. C’est très concrètement ce que nous avons fait avec la mise en place de l’observatoire des pratiques de la démocratie, avec nos programmes d’appui à la consolidation de l’État de droit, avec nos interventions pour faciliter les processus de transition et de sortie de crise. C’est aussi ce que nous faisons en travaillant avec les Nations unies sur le renforcement des capacités internationales d’alerte précoce. Tout cela est très concret, très cohérent et traduit notre souci de renouveler, de dynamiser l’approche multilatéraliste à laquelle nous adhérons.
RFI : Qu’est-ce qui manque à la Francophonie pour occuper toute sa place parmi les grandes organisations internationales ?
AD: On pourrait se plaindre de ne pas avoir davantage de moyens financiers ou des structures plus volumineuses. Je refuse de le faire. L’OIF a sa personnalité, sa spécificité, son originalité. Elle a des valeurs fortes et des missions nobles. Cela nous suffit pour poursuivre notre chemin, faire avancer nos idées, donner corps à notre ambition. Nous ne sommes pas en compétition avec les autres organisations internationales. Nous sommes au contraire déterminés à renforcer nos partenariats avec toutes celles qui vont dans le même sens que nous, et chaque fois que nous pouvons être utiles. C’est cela le multilatéralisme. Pas forcément spectaculaire, mais obstiné et faisant toujours prévaloir l’intérêt général. Il ne nous manque rien, mais la Francophonie manquerait si elle n’existait pas!Propos recueillis par Thierry Perret et Marie Joannidis
Article publié le 16/11/2004 Dernière mise à jour le 19/11/2004 à 08:40 TU