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Santé

Ouverture à Paris d'une Maison des adolescents

Vue de l'entrée de la Maison de Solenn-Maison des adolescents, inaugurée le 17 novembre 2004 à Paris. 

		(Photo: AFP)
Vue de l'entrée de la Maison de Solenn-Maison des adolescents, inaugurée le 17 novembre 2004 à Paris.
(Photo: AFP)
C’est sous la responsabilité du professeur de pédopsychiatrie Marcel Rufo que la Maison de Solenn-Maison des adolescents à Paris (sur le site du groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de Paul) a été inaugurée mercredi 17 novembre, et ouvrira ses portes le 6 décembre 2004. Le projet de cette maison est indissociable de l’histoire de la Fondation des hôpitaux de Paris-hôpitaux de France, et de l’opération «pièces jaunes», conduite par Bernadette Chirac, qui a financé le projet. Cette structure pluridisciplinaire remplira des missions de prévention, d’information, de soins médicaux, mais aussi de pathologies liées à l’adolescence comme l’anorexie et la dépression, grâce à une unité de l'Institut national de recherche scientifique et médicale.

Avec la Maison de Solenn-Maison des adolescents, les adolescents parisiens de 12 à 19 ans auront désormais accès 7 jours sur 7 à un espace santé, à la fois lieu d’écoute -ouvert de 6 heures du matin à minuit-, de documentation et d’orientation ouvert à tous. Des consultations générales et pluridisciplinaires devraient y permettre une évaluation de chaque cas. Par ailleurs, des «soins culturels» visant à compléter l’approche médicale des adolescents par l’éducation sont prévus comme un studio de radio, un espace mode,  une médiathèque, une salle de sport, une salle de musique, de danse, de cuisine, d’informatique, ou encore un espace jardinage. Marcel Rufo assure: «quand un psychiatre voit un gamin, il doit par tous les moyens relancer le jeu psychique et le plaisir de penser. Et donc de vivre». Bien que la structure compte avec une capacité d’hospitalisation (20 lits prévus), «ce n’est pas un hôpital, c’est avant tout un espace ouvert sur la ville» pour soigner les maux des ados qui est créé. Le slogan pourrait se définir par «Quand ça va pas, t’y vas! quand t’as des questions, t’y vas! », le but étant que les adolescents, le quittant, puisse en parler «comme d’un bistrot qu’ils aiment, tout en sachant pouvoir y revenir à tout moment», espère Marcel Rufo, un lieu rien que pour eux et sur mesure car, souligne-t-il, «les ados ont ceci de particulier qu’ils ne peuvent pas être mêlés avec des enfants ou des adultes. Ils se sentent différents, c’est une forme de corporatisme».

«Je perds en luminosité ce que je vais gagner en espérance»

Clinicien connu du grand public pour son bon sens et son franc parler, le professeur Marcel Rufo, rompu à trente ans de pratique de la médecine de l’âme enfantine et des désarrois adolescents, a quitté l’hôpital de la Timone à Marseille pour se consacrer entièrement à ce nouveau centre à Paris. «Je perds en luminosité ce que je vais gagner en espérance», a déclaré le célèbre clinicien opposé au «prêt-à-penser», et qui tient à ce que l’on puisse accéder aux consultations avec ou sans rendez-vous pour y parler librement (de mal-être, phobie scolaire, baisse d’énergie, sentiment de tristesse, prise de toxiques, troubles alimentaires etc). Il s’agit d’y «mélanger le médical et le psychiatrique. Nous avons là la possibilité de rendre crédible une nouvelle discipline qui serait la médecine de l’adolescent», a déclaré le professeur. Le centre entend aussi répondre aux demandes des collégiens et des lycéens qui souhaiteraient poursuivre leur scolarité en lien avec les établissements voisins. Le projet, né d’une large consultation de professionnels, compte s’appuyer à la fois sur le réseau de soins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, et sur le réseau médico-social de la ville de Paris.

Sous la houlette de Marcel Rufo, on comptera une quinzaine de praticiens hospitaliers employés à temps plein dont deux psychiatres, un endocrinologue, une médecin de médecine interne et un pédiatre, épaulés de cadres soignants, d'infirmières, d'aide-soignants et d'un personnel chargé d’écouter, d’accueillir, et d’orienter les adolescents et les familles. «L’adolescent pourra venir seul, de façon anonyme, s’informer, rencontrer quelqu’un, mais si on voit qu’il ne va vraiment pas bien, on préviendra les parents», insiste le pédopsychiatre qui compte associer les parents à sa démarche, car il s’agit d’un réel problème de santé publique qui concerne l’individu certes, mais aussi les familles: «même quand un adolescent refuse ses parents, ces derniers sont dans sa tête, donc il faut les rencontrer».

Coût de fonctionnement annuel : 3,9 millions d’euros

Présidente de la Fondation de Paris-Hôpitaux de France, Bernadette Chirac, elle-même mère d’une fille aînée qui souffre depuis des années d’une très profonde anorexie mentale, a conduit ce projet avec ferveur, soulignant que «la douleur que peuvent ressentir les adolescents étaient jusque-là, peut-être, insuffisamment prise en charge». C’est en effet à l’adolescence, période charnière et fragilisante de l’existence, que le suicide constitue la deuxième cause de mortalité des 15-19 ans. Pour répondre par exemple à ce problème, la première unité Inserm en psychiatrie de l’adolescence sera accueillie en 2005 dans l’établissement, et travaillera en priorité sur les troubles alimentaires graves. La Maison de Solenn-Maison des adolescents porte d’ailleurs le nom de la fille du journaliste Patrick Poivre d’Arvor, une jeune fille anorexique qui a mis fin à ses propres jours (ndlr: le présentateur vedette de la chaîne de télévision TF1 a reversé, à la Fondation, l’intégralité des droits d’auteur des livres consacrés à sa fille).

La structure pilote qui se présente de manière novatrice sur le plan architectural, comme un magnifique paquebot de verre et de métal, ouvert sur les arbres et la lumière, «en forme de deux grands bras ouverts sur la ville», selon l’expression de son architecte Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart pour symboliser un lieu «où l’on soignera autrement». Le coût de sa création s’est élevé à  26,2 millions d’euros. Mais le coût annuel de son fonctionnement devrait pour sa part s’élever à 3,9 millions d’euros. La Fondation de Paris-Hôpitaux de France a pris en charge la majeure partie du coût de la construction, ainsi que des équipements non médicaux, grâce aux dons récoltés depuis 1999 dans le cadre de l’opération «pièces jaunes» -soit 70% du budget. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a pris en charge les aménagements et équipements médicaux, et assumera les frais de fonctionnement de la structure. Depuis juin dernier, le développement de ces structures est devenu une des orientations de la Conférence de la famille et, pendant 5 ans, l’Etat financera les projets à hauteur de 5 millions d’euros par an.

La Maison de Solenn-Maison des adolescents s’est inspirée d’expériences pionnières menées il y a 20 ans à Bicêtre (service du professeur Victor Courtecuisse) mais aussi à Bordeaux, Marseille, Bobigny, Le Havre et Tahiti. La capitale, elle, en était dépourvue. Cette carence n’existe donc plus, mais selon ses concepteurs, la Maison de Solenn-Maison des adolescents a vocation à faire école: «nous ne souhaitons pas donner de leçons, mais inciter d’autres projets pour créer un mouvement», explique le professeur Griscelli, actuel vice-président de la Fondation. Il n’en demeure pas moins que le projet ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes. «La cause est respectable, mais il faut savoir que derrière des opérations aussi spectaculaires, à côté, il y a des équipes qui se débattent avec des moyens nettement plus limités», lâche un pédopsychiatre faisant allusion au service hospitalier parisien pour adolescents qui en 2002 avait failli en faire les frais: pour faire face aux obligations financières du nouveau projet, l’AP-HP avait alors supprimé ses crédits, mais la menace d’un scandale public l’avait obligé à faire marche arrière. Par ailleurs le pédopsychiatre qui exprime aussi son scepticisme sur les choix retenus: «Madame Chirac est à côté de la plaque avec ses baies vitrées. Les adolescents qui vont mal cherchent l’ombre, pas la lumière», déplorant également qu’«appeler une construction pour les jeunes du nom d’une morte , c’est catastrophique».



par Dominique  Raizon

Article publié le 18/11/2004 Dernière mise à jour le 18/11/2004 à 16:46 TU