Kenya
Interdire les mines, aider les victimes
(Photo: AFP)
De notre correspondante à Nairobi.
Un match de football est improvisé face à la salle de conférence de l’ONU par des victimes de mines antipersonnel. Aimable, un Rwandais de 30 ans, qui a perdu ses deux jambes lors d’un accident dans le centre de Kigali en 1992, est l’un des porte-parole du «réseau des survivants». «Certains délégués n’ont jamais vu de victimes de mines. Nous sommes là pour leur montrer les conséquences de ces armes», explique-t-il en s’appuyant sur ses deux béquilles. Aimable n’a pu obtenir de prothèses que cinq ans après son accident, en 1997, grâce au soutien d’une organisation italienne. Ce qui lui a permis de retourner à l’école puis d’aller à l’université, où il étudie la comptabilité. Négligée dans la Convention d’Ottawa, signée en 1997, l’assistance aux victimes est l’un des principaux enjeux de ce sommet de Nairobi. Vendredi 3 décembre, une déclaration contenant 70 mesures concrètes a été signée par les 144 Etats membres (l’Ethiopie venant d’ajouter son nom à la liste, cette semaine).
Une prothèse pour 300 $
Le plan d’action contient une avancée dans le domaine de l’assistance aux rescapés: «Les Etats reconnaissent l’obligation d’aider les victimes des mines (…) et renforceront, pendant la période 2005-2009, les efforts pour assurer aux victimes les soins dont elles ont besoin». Suivent une dizaine d’articles détaillant les besoins des victimes. Car en matière d’aide aux blessés, la Convention d’Ottawa semble elle-même victime de son succès relatif. Une nette diminution des accidents a été enregistrée depuis 1999 : le chiffre de 25 000 victimes par an a été ramené à 15 000 en 2004.
Mais le nombre total de victimes, lui, ne cesse de croître: chaque nouvelle personne blessée, mutilée, handicapée s’ajoute à celles déjà existantes, qui nécessitent une assistance à vie. Les prothèses, dont le coût moyen dans les pays en développement s’élève à quelque 300 dollars, doivent être changées en moyenne tous les 3 ans. Or, les financements de la communauté internationale pour le soutien aux victimes sont en nette diminution depuis 1999. Petite note d’espoir a Nairobi: l’Union européenne a annoncé cette semaine un plan d’aide sur trois ans d’un montant minimum de 140 millions d’euros, notamment pour l’assistance aux victimes.
Un pas de la Chine
La cinquantaine de survivants qui ont fait le déplacement des quatre coins du monde se sont en outre réjouis de la présence de la Chine, pourtant non signataire d’Ottawa, à ce sommet. Avec 110 millions de mines en magasin, Pékin détient les stocks les plus importants de ces armes dans le monde. Les zones minées tout le long de ses frontières sont parmi les plus étendues sur la planète. Plusieurs ONG n’ont pas boudé leur plaisir lorsque l’émissaire de Pékin a annoncé que la Chine «envisage sérieusement de soumettre un rapport conformément aux exigences de l’article 7 de la Convention».
Il s’agit du «rapport de transparence» présentant un état des lieux précis des stocks, des zones minées et du nombre d’accidents, que les Etats parties sont tenus de remettre annuellement. «C’est un grand espoir et un pas important qui montre que la Chine se rapproche de la Convention», se réjouit Stan Brabant, responsable de la politique anti-mines pour Handicap international. «La Chine est au cœur d’une région très affectée et un mouvement positif de sa part peut entraîner des pays comme le Pakistan et l’Inde dans la bonne direction», poursuit-il. Mais vu l’ampleur du problème en Chine, la production d’un tel rapport pourrait prendre plusieurs années. Des poids lourds, comme la Russie et les Etats-Unis, non signataires de l’accord, ont en revanche brillé par leur absence.
Trois lauréates du prix Nobel de la paix sont venues à Nairobi entre autres pour faire pression sur ces Etats. Wangari Maathai, du Kenya, lauréate cette année, Shirin Ebadi, l’Iranienne (prix 2003) et Jody Williams, américaine (lauréate en 1997 avec la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel) ont lancé un appel à destination des pays récalcitrants. D’autres pays signataires ont été pointés du doigt par les ONG, comme la France qui produit des mines anti-véhicules HPD: «des mines antipersonnel qui ne disent pas leur nom», car elles explosent lorsqu’un démineur approche avec son détecteur de métaux.
par Pauline Simonet
Article publié le 03/12/2004 Dernière mise à jour le 03/12/2004 à 16:09 TU