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Cambodge

Mines antipersonnel : le salaire de la peur

Une prothèse pour retrouver un travail, une dignité. Le centre de réhabilitation du CICR à Battambang (Ouest de Cambodge) offre gratuitement aux victimes de mines ou d’explosifs des prothèses sur mesure, qui doivent être changées tous les trois ans pour cause d’usure. 

		(Photo : Véronique Gaymard/RFI)
Une prothèse pour retrouver un travail, une dignité. Le centre de réhabilitation du CICR à Battambang (Ouest de Cambodge) offre gratuitement aux victimes de mines ou d’explosifs des prothèses sur mesure, qui doivent être changées tous les trois ans pour cause d’usure.
(Photo : Véronique Gaymard/RFI)
La conférence de Nairobi fait le point sur l’application de la Convention d’Ottawa qui interdit l’emploi, le stockage, la production et le transfert des mines antipersonnel, un texte qui encadre également leur destruction. Malgré cette convention, nombre de pays continuent de subir les effets de la dissémination de ces armes dont les victimes sont principalement les populations civiles. C’est notamment le cas du Cambodge où l’on assiste depuis le début de l’année à une recrudescence des accidents dus aux mines antipersonnel et aux munitions non explosées. C’est l’augmentation du cours mondial de l’acier qui conduit les populations les plus pauvres à tenter de récupérer les engins pour les revendre, au poids de la ferraille, en Thaïlande.
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Entre 1996 et fin 2003, le nombre d’accidents provoqués par les mines antipersonnel et les explosifs a progressivement diminué. On se réjouissait déjà de ces bons résultats, dus sans doute aux campagnes d’information sur le danger de ces engins de la mort, et au nombre croissant de parcelles déminées… jusqu’à ce que, tout à coup, à partir de janvier 2004, le nombre de victimes fasse un bond de plus de 30% par rapport à 2003.

Les autorités cambodgiennes en charge du déminage ont mis quelques mois pour comprendre ce phénomène. La réponse se trouve sur le marché du recyclage du métal, très développé en Thaïlande. De nombreux intermédiaires achètent du métal au Cambodge et le payent au kilo, selon le cours de l’acier. Or, ces derniers mois, le cours mondial de l’acier a grimpé (+50% en 2003, +20% au premier semestre 2004), et  les « chasseurs de métal », villageois, adultes et enfants, ont pris plus de risques, jusqu’à tenter de déterrer des explosifs qui représentent un bon poids.

Menaces sur les trafiquants

Les autorités n’ont compris le problème qu’en avril, et ont déclenché des opérations à l’encontre des intermédiaires en menaçant de confisquer toute munition qu’ils rachèteraient. Ces menaces semblent avoir porté leurs fruits : le nombre d’accidents a diminué drastiquement depuis le mois de mai. Ce phénomène révèle encore une fois l’extrême pauvreté des populations rurales cambodgiennes qui risquent leur vie pour nourrir leurs familles.

La plupart des accidents dus aux mines ou aux explosifs se produisent dans les champs. Suon Rem, une jeune femme de 25 ans, a perdu ses deux jambes en juillet 2003 en sautant sur une mine, à 150 mètres de sa maison, alors qu’elle se rendait sur sa plantation. Pao Rim, un jeune homme de 20 ans, a perdu sa jambe gauche alors qu’il ramassait du bois, le 20 avril 2004. Au Cambodge, plus de quinze ans après la fin de la guerre, les mines et les munitions non explosées font plus de deux victimes par jour. Plus de 30 000 personnes sont mutilées. Ce pays en proie à plus de 30 années de guerre est l’un des plus minés au monde (plus de 6 millions de mines), avec l’Angola, le Mozambique, l’Afghanistan et la Colombie. Le Centre cambodgien d’action anti-mines (CMAC) estime que depuis 1992, seulement 8% des zones contaminées au Cambodge ont été nettoyées.

Ici, ce sont surtout des femmes qui déminent

District de Samloth, à 80 kilomètres de la grande ville de Battambang, à l’ouest du pays : une des nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) présentes au Cambodge démine un champ. Dans cette région, les terres sont fertiles, mais très minées. Depuis 1999, plus de 300 000 réfugiés reviennent de Thaïlande et faute de terres disponibles dans les zones déminées, s’installent avec leurs familles à leurs risques et péril, de plus en plus près de la frontière thaïlandaise, sur ces terres « contaminées », données par les autorités locales qui sollicitent les organisations de déminage.

Pao Da Rassmei de l’ONG MAG (Mines Advisory Group) reconnaît qu’il leur faudra plus de 3 mois pour déminer cette parcelle de 17 000 m². Un travail de fourmi, réalisé ici par des équipes de femmes. La plupart de ces démineuses ne travaillent pas ici par choix, mais parce que le salaire y est huit fois plus élevé que le salaire de base.

Les paysans démineurs

A côté de la parcelle, des maisons sont construites sur la zone à risque. Souvent, les paysans s’improvisent démineurs, car ils n’ont pas le temps d’attendre les opérations de « nettoyage ». C’est là que se produisent la plupart des accidents. Le CMAC a été appelé il y a quelques mois pour vérifier un champ déminé par des villageois, dont 4 ont été tués et 7 autres blessés. Ils avaient trouvé 400 mines sur leurs parcelles. Le CMAC a vérifié le champ et en a trouvé 53 autres.

Une fois par mois, des volontaires de la Croix-rouge cambodgienne rassemblent les villageois de la commune de Samloth pour une campagne d’information sur le risque des mines et des munitions non explosées qu’ils peuvent trouver à tout moment dans leurs champs. Une jeune fille de 14 ans témoigne : « L’autre jour, j’ai trouvé une bombe dans un champ près de chez moi. C’était métallique, ça brillait un peu au soleil, c’est comme ça que je l’ai repérée. Je suis rentrée chez moi, j’ai pris mon manuel avec la liste et les photos des engins que nous a distribué la Croix rouge, j’ai trouvé le nom de cette bombe, et j’ai raconté ce que j’avais vu au chef de mon village. Une équipe de déminage est venue retirer l’engin ». La jeune fille a raconté son histoire. Les villageois et leurs enfants applaudissent. Ils ont même inventé une chanson : « ne joue pas avec les mines et les explosifs, attention il peut même y en avoir dans les arbres ! ».

Samloth se trouve dans la région qui a constitué le camp retranché de Pol Pot et de ses Khmers rouges jusqu’en 1998. D’ailleurs, ici, de nombreux habitants sont d’anciens Khmers rouges. Beaucoup ont été blessés par des mines au cours d’opérations militaires. Les mines et les explosifs ont été disséminés par milliers, sans aucune carte, et aujourd’hui que la paix est revenue, ces engins continuent de tuer et de mutiler les populations civiles qui n’ont d’autre choix que de cultiver la terre.


par Véronique  Gaymard

Article publié le 28/11/2004 Dernière mise à jour le 28/11/2004 à 13:33 TU



Ecoutez également l'émission Repères du 28 novembre 2004.

Audio

Stan Brabant

Responsable du programme Mines antipersonnel pour Handicap international

«Ce n’est pas toujours évident pour des pays qui sortent d’un conflit, où les infrastructures sont par fois dans un état effroyable, de développer une réponse aux problèmes rencontrés par les communautés affectées par les mines.»

[30/11/2004]

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