ONU
Kofi Annan dans la ligne de mire
(Photo: AFP)
De notre correspondant à New York (Nations unies)
«Les chiens sont lâchés», déplore un officiel de l’Organisation des Nations unies. Ici, on se sent assiégé. Beaucoup ont l’impression de revivre un mauvais cauchemar, celui de la montée vers la guerre en Irak. A l’époque comme aujourd’hui, l’institution était quotidiennement traînée dans la boue par la presse américaine conservatrice. Sauf que cette fois, c’est Kofi Annan qui est personnellement visé. Le sénateur républicain Norm Coleman réclame sa démission, de concert avec une poignée d’éditorialistes de la droite dure. Ils accusent Kofi Annan d’avoir géré de manière négligente le programme pétrole contre nourriture, qui avant la guerre en Irak avait pour objectif d’atténuer l’effet des sanctions sur les civils irakiens, mais qui aurait permis à Saddam Hussein de détourner jusqu’à 20 milliards de dollars.
Ces attaques semblent politiquement motivées. Elles émanent des mêmes cercles qui agitaient la menace d’armes de destruction massive en Irak, et qui font mine de découvrir les déboires du programme pétrole contre nourriture. Il avait été institué en 1996, pour autoriser l’Irak à vendre du pétrole en dépit de l’embargo qui pesait contre le pays. Avec l’argent de ce pétrole, qui était déposé sur un compte séquestre de l’ONU, les autorités irakiennes n’étaient autorisées à acheter que des biens humanitaires, ou des équipements d’infrastructure pour le pays. Vingt-sept millions d'Irakiens recevaient ainsi un «panier de vivres» avec notamment de la farine, du sucre ou de l'huile. Au total, les ventes de brut irakien ont généré 65 milliards de dollars, déposés sur les comptes de l'ONU. La majorité a servi à acheter des biens humanitaires.
Mais fin 2000, le régime irakien a cherché à imposer une surtaxe de 50 cents par baril à ses acheteurs en vendant officiellement leur pétrole légèrement en-dessous des cours, et en récupérant la différence qui allait directement dans les caisses du régime, sans passer par le compte séquestre de l'ONU. La contrebande de pétrole à travers la Turquie et la Jordanie allait également bon train. Saddam Hussein a ainsi récupéré des milliards de dollars. Tout le monde au Conseil de sécurité le savait. En guise de parade, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient imposé un système de fixation des prix a posteriori qui forçait les exportateurs à acheter en aveugle, les prix n’étant fixés par l'ONU qu'à la fin du mois. Mais Washington, soucieux de ne pas s’aliéner les pays voisins de l’Irak, fermait les yeux sur la contrebande.
Le fils de Kofi Annan mis en causeLes membres du Congrès américain, qui ont lancé pas moins de cinq enquêtes sur le programme, semblent redécouvrir des choses que le département d’Etat connaissait par cœur. Les imprécations de «scandale» sont donc surprenantes. Mais depuis ont émergé des accusations de corruption touchant cette fois des individus. Bennon Sevan, le patron du programme pétrole contre nourriture est cité dans le rapport Duelfer, qui devait faire la lumière sur les armes irakiennes, parmi les bénéficiaires d’un système de bons pour acheter du pétrole irakien, qui aurait permis à Saddam Hussein d’acheter un certain nombre d’officiels et d’hommes politiques, y compris des Français (le nom de Charles Pasqua figure sur la liste, mais l’homme politique dément). Bennon Sevan nie aussi en bloc.
Autre fait troublant: le fils de Kofi Annan, Kojo, a touché jusqu’en février dernier près de 2000 euros par mois et des avantages indirects de la Cotecna, une société suisse qui bénéficiait du programme pétrole contre nourriture. Jusque-là, l’ONU assurait que les paiements au fils de Kofi Annan avaient pris fin peu après l’obtention par la Cotecna du contrat onusien. Lorsque la vérité a émergé, Kofi Annan s’est dit «déçu» par son fils qui ne lui avait semble-t-il pas dit toute la vérité. Mais la Cotecna maintient que ces paiements n’avaient rien d’illégal, et qu’ils étaient versés en échange de la promesse, par Kojo Annan, de ne pas travailler pour la concurrence. Reste que comme Kofi Annan l’a admis, tout cela fait mauvaise impression.
Il y a donc de la fumée, mais pas encore de feu. L’ONU attend les résultats d’une enquête indépendante de Paul Volcker, l’ancien patron de la réserve fédérale américaine, chargé de faire toute la lumière sur l’affaire. Il a accès à toutes les archives de l’ONU et la confiance de la communauté internationale. Kofi Annan, lui, prépare sa contre-attaque, avec ses conseillers en communication. Il a déjà reçu le soutien de nombreux pays, dont presque tous les membres du Conseil de sécurité, le groupe africain et l’Union européenne. Mais à l’exception de Colin Powell, plutôt aimable à son égard, les autorités américaines gardent un silence attentiste.
par Philippe Bolopion
Article publié le 04/12/2004 Dernière mise à jour le 04/12/2004 à 17:15 TU