Royaume-Uni
La loi antiterroriste dans le collimateur des Law Lords
(Photo : AFP)
Pas de trêve des confiseurs pour le nouveau ministre de l’Intérieur britannique, Charles Clarke. A peine nommé, le voilà obligé de gérer les suites d’un revers judiciaire majeur pour le gouvernement de Tony Blair. La cour des Law Lords, la plus haute instance judiciaire du Royaume, lui a fait un cadeau de bienvenue empoisonné. Elle a déclaré illégale la loi autorisant la détention illimitée sans procès et sans inculpation des étrangers soupçonnés de terrorisme. A huit contre un, les Lords ont ainsi estimé que la section 23 de la loi antiterroriste britannique, adoptée après les attentats du 11 septembre 2001, «viole les obligations légales du Royaume-Uni vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme».
Pour le gouvernement, cette mesure est justifiée par la situation exceptionnelle créée par la menace que l’organisation terroriste internationale Al Qaïda fait peser sur la sécurité du monde en général, de la Grande-Bretagne en particulier. La détention sans jugement représente le seul moyen pour gérer le problème des étrangers soupçonnés de terrorisme qui refusent de quitter le territoire et ne peuvent y être contraints car ils risquent des persécutions ou la peine de mort chez eux. Mais pour les défenseurs des droits de l’homme, la loi porte atteinte à une liberté fondamentale, à savoir celle de ne pas être soumis à des arrestations arbitraires. De ce point de vue, Leonard Hoffman, l’un des Law Lords, a expliqué les motivations de l’invalidation de la loi : «La véritable menace pour la vie de cette nation vient non pas du terrorisme mais de lois de ce type».
Une victoire pour les plaignantsLes Law Lords ont été amenés à se prononcer à l’issue d’une procédure juridique engagée par les avocats de neuf détenus qui se trouvent confrontés à cette situation. Huit d’entre eux sont ainsi emprisonnés depuis près de trois ans à la prison de haute sécurité de Belmarsh près de Londres. Leurs défenseurs estiment qu’ils sont victimes de mesures totalement discriminatoires et injustifiées, avançant même que cette situation a provoqué chez certains d’entre eux des troubles mentaux. Ils ont donc saisi la commission spéciale d’appel des affaires d’immigration (SIAC), compétente dans ce domaine. Cette instance leur a donné raison le 30 juillet 2002. Mais cette première victoire a été annulée, en octobre 2002, par la cour d’appel de Londres, saisie par le ministère de l’Intérieur. Le recours devant les Law Lords était donc celui de la dernière chance pour les plaignants.
La décision de cette instance judiciaire, qui a réuni neuf Lords au lieu de cinq, en raison de l’importance de l’affaire, représente donc incontestablement un coup dur pour le gouvernement qui a fait de la lutte antiterroriste un axe majeur de sa politique depuis trois ans. D’autant qu’elle survient au lendemain de la démission de David Blunkett, l’un des ministres phares du gouvernement de Tony Blair, impliqué dans un scandale politico-sentimental. A quelques mois des élections législatives, le Premier ministre se trouve donc particulièrement affaibli et va devoir trouver un moyen de prendre en compte l’avis des Law Lords tout en essayant de conserver une marge de manœuvre en matière de lutte antiterroriste.
Le gouvernement a tout de même un peu de temps pour trouver la solution. La décision des Law Lords n’a en effet aucune valeur contraignante. C’est au Parlement qu’il reviendra éventuellement de changer les termes de la loi ou ses modalités d’application. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Charles Clarke, a d’ailleurs immédiatement signifié son refus d’entamer une procédure de libération des détenus plaignants. Mais il a tout de même déclaré que le gouvernement allait «étudier le jugement avec attention pour voir s’il est possible de modifier la législation afin de répondre aux préoccupations soulevées par la Chambre des Lords», avant de présenter à nouveau la loi devant le Parlement.
Du côté des avocats des détenus, la décision des Law Lords est bien sûr interprétée comme une grande victoire dont ils aimeraient obtenir la concrétisation rapidement. Gareth Pierce, l’une d’entre eux, a ainsi déclaré : «Le gouvernement doit prendre des mesures afin de retirer la législation et remettre en liberté les détenus». Ajoutant même que si la requête de ces derniers n’était pas rapidement entendue, ils n’hésiteraient pas à porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.
par Valérie Gas
Article publié le 17/12/2004 Dernière mise à jour le 17/12/2004 à 16:26 TU