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Exposition

«Le ciel dans un tapis»

Tapis persan à médaillon central
Perse, Tabriz ( ?), première moitié du XVIe siècle
Chaîne en coton, trame en coton, velours en laine, nœuds persans
Lisbonne, Museu Calouste Gulbenkian(© Fondation Calouste Gulbenkian / Ph. Reinaldo Viegas)
Tapis persan à médaillon central Perse, Tabriz ( ?), première moitié du XVIe siècle Chaîne en coton, trame en coton, velours en laine, nœuds persans Lisbonne, Museu Calouste Gulbenkian
(© Fondation Calouste Gulbenkian / Ph. Reinaldo Viegas)
Jusqu’au 31 mars, l’Institut du monde arabe (IMA) invite à découvrir la richesse et la diversité extrême des tapis, à travers 56 pièces à point noué, généralement produites dans l’Orient musulman au cours des XVI et XVIIIèmes siècles. Les œuvres ont été prêtées par le Metropolitan, musée d’art de New York, le musée d’art islamique de Berlin, la collection Keir (Royaume-Uni), le musée des tissus de Lyon ou le musée Jacquemart-André de Paris. Véritable langage, le tapis est une marchandise de prestige qui a beaucoup voyagé avec les caravanes, faisant ainsi évoluer sa grammaire au gré des contrées et des époques. Tapis de prière, tapis de cour, tapis nomades: si quelques pièces caucasiennes, turkmènes et marocaines sont données à voir, l’exposition est essentiellement centrée sur des productions en provenance de l’Égypte des mamelouks, de la Turquie ottomane, et de la Perse safavide (1501-1736).

Tapis de prière aux grenades Turkestan, Béchir, tribu des Ersari, XIXe siècle Chaîne en laine, trame en laine, velours en laine, nœuds turcs Lisbonne, Museu Calouste Gulbenkian
(© Fondation Calouste Gulbenkian / Ph. Mario de Oliveira)
Trois salles très spacieuses, éclairées de manière zénithale par des spots, mettent en valeur l’accrochage de ces tapis, qui ne se livrent pas tous au premier regard. Certains sont en retrait derrière des sortes de paravents comme pour inciter au recueillement, et à une mise en condition de prière. Le choix du titre de l’exposition, «Le ciel dans un tapis», tient à la récurrence des constructions d’images: un motif central et des bordures d’encadrement, tels «une fenêtre ouverte sur le ciel des Fixes, ou le miroir d’un plan d’eau entouré de sa margelle, et qui refléterait les figures de la nuit», explique le commissaire à l’exposition, Roland Gilles dans le très beau catalogue qui accompagne l'exposition, édité par l'IMA: majestueux, les trois «güls planétaires» -«roses», en persan- sont l’expression même de cette «écriture stellaire, capable de suggérer l’infini sur une surface de faible dimension».

Tapis à médaillon sur fond bleu (Ouchak-Gillet) Turquie, Anatolie de l'ouest, Ouchak, XVIe siècle Chaîne en laine, trame en laine, velours en laine, nœuds turcs Lyon, musée des Tissus
(© Musée des Tissus, Lyon)
Que ce soit pour sacraliser la cosmographie de l’univers ou pour se l’approprier, le commissaire constate: «Partout appliquées dans les arts de l’islam, ces constructions (…) semblent capter ou refléter une infime partie de ces Cieux de lumière qui enveloppent de leurs maillages subtils le monde d’ici-bas (…). Cette théologie des images culmine dans le tapis à médaillon central créé au tout début du XVIème siècle. Il est conçu par les Persans chiites comme une véritable théophanie de la Lumière déployée au milieu du champ (….) chez les Turcs, il prend l’aspect d’une horloge cosmique, dont le mouvement circulaire est associé au Maître de l’heure». Réalisés dans de grands ateliers, ces tapis de cour commandés par des hommes de pouvoir à des maîtres tisserands, étaient aussi décoratifs que symboliques. Mais leurs motifs furent repris par les villageois et les nomades qui en varièrent les écritures décoratives. Souvent le tapis ne constituait même que le seul élément décoratif d’un intérieur, élément d’apparat ou de prière.

Décors purement floraux dès le XVIe siècle en Turquie ottomane

Tapis à médaillon et combats d’animaux Perse, Kachan, milieu du XVIe siècle Chaîne en soie, trame en soie, velours en soie, nœuds persans Lisbonne, Museu Calouste Gulbenkian
(© Fondation Calouste Gulbenkian / Studio Mario Novais)
Si la mode des tapis à décors géométriques, qui séduira l’Occident dès le Moyen Age et la Renaissance, s’est largement répandue en terre d’islam -en Iran, en Egypte musulmane et en Egypte mamelouk- c’est surtout par le truchement des ouvrages de la Turquie ottomane que nous les connaissons. Début XVIe siècle, les tapis à médaillon central apparaissent. Ce nouveau concept décoratif, d’origine iranienne, doit cependant beaucoup aux influences de la Chine et à l’art turcoman. Des décors purement floraux apparaissent en Turquie ottomane à l’époque de Soliman le Magnifique (1520-1560): «aux feuilles recourbées comme des roseaux se mêlent des boutons de lotus inspirés de l’art chinois, auxquels s’ajoutent des fleurs emblématiques : l’œillet, la tulipe, la jacinthe sauvage, la tige de prunus et l’églantine», fait remarquer Roland Gilles. A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, des représentations de vases , parfois figurés sur le treillis végétal, ont donné à ces pièces les noms de «tapis vases».

Relayé par un ouvrage paru dans la collection Découvertes Gallimard, Les routes du tapis, d'Edith et François-Bernard Huyghe, un petit film invite le visiteur à parcourir l'histoire du tapis, expliquant comment depuis l’Antiquité, de la tente au temple, des cérémonies des palais aux ballots des caravanes, des étoffes tissées, brodées ou nouées ont servi pour prier les dieux, honorer les puissants, décorer ou réchauffer les intérieurs. Le film rend compte de cette géographie des tapis qui varie au gré des transhumances. Poétiquement écrit, il enrichit aussi l’exposition d’une dimension pédagogique sur l’art du tissage qui varie selon les régions, expliquant ce qu’est un nœud turc (symétrique) qui cravate deux fils de chaîne consécutifs, et un nœud persan (asymétrique) qui n’enlace qu’un fil de chaîne et revient derrière le suivant.

Le visiteur assiste également aux différentes élaborations de teinture: trempée initialement dans un bain «mordant» -le plus souvent de l’alun- la laine est ensuite immergée dans une décoction de teintures d’origine végétale ou animale. On doit le rouge vermillon aux racines de garance, ou à la sécrétion d’insecte comme la cochenille, le jaune est dérivé de la gaude, du safran, de la feuille de vigne, de l’écorce de grenade ; le bleu, aux feuilles d’indigo fermenté ; les bruns aux décoction de brou de noix. Les doigts s’exercent alors avec agilité et précision sur le métier à tisser, comme sur une harpe, pour tisser la laine séchée et cardée.


par Dominique  Raizon

Article publié le 06/01/2005 Dernière mise à jour le 06/01/2005 à 14:19 TU