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Dette argentine

Une décote sans précédent

Roberto Lavagna, le ministre argentin de l'Economie table sur la lassitude des investisseurs pour lancer la restructuration de la dette argentine.(Photo: AFP)
Roberto Lavagna, le ministre argentin de l'Economie table sur la lassitude des investisseurs pour lancer la restructuration de la dette argentine.
(Photo: AFP)
Les investisseurs auront jusqu’au 25 février pour échanger leurs titres, avec une perte de 66% en moyenne. Cent soixante-dix-huit produits financiers différents, pour un total de 82 milliards de dollars, sont concernés. La réussite de l’opération mettrait fin à la plus importante cessation de paiement de tous les temps.
De notre correspondant à Buenos Aires

Trois ans et quatorze jours après s’être déclarée en cessation de paiement à l’égard de ses créanciers privés (82 milliards de dollars, 100 milliards avec les intérêts, le défaut le plus important de l’histoire), l’Argentine lance la restructuration de sa dette impayée. L’offre a été présentée par le ministre de l’Economie Roberto Lavagna le 12 janvier, le secrétaire aux Finances Guillermo Nielsen partant le soir même pour une tournée d’explications aux États-Unis et en Europe.

Les investisseurs auront six semaines, entre le 14 janvier et le 25 février, pour procéder à l’échange de titres: 178 produits financiers différents sont concernés, que le gouvernement propose de remplacer contre trois types de bons seulement («au pair», «discount» et «quasi pair»). Le total de la nouvelle dette émise sera de 41,8 milliards de dollars si le taux d’acceptation est supérieur à 70%, de 38,5 milliards dans le cas contraire. En valeur nominale, la décote sera donc d’environ 50%. Mais, compte tenu de l’allongement des échéances et des intérêts plus faibles qui seront servis, la perte sera beaucoup plus importante: en moyenne, pour chaque dollar investi, les détenteurs de bons ne percevront que 33 cents. La décote réelle sera donc aussi la plus importante de tous les temps.

La restructuration semble toutefois s’engager sous de bons auspices, dans un climat relativement optimiste. «Le taux d’adhésion sera élevé», estime Mario Blejer, ancien président de la Banque centrale. Il est vrai que la pression extérieure en faveur d’une proposition plus favorable s’est atténuée et que l’opposition de certains groupes de créanciers a décru, même si l’hostilité reste forte en Italie, où l’on compte plus de 400 000 petits porteurs de titres de la dette argentine. «Les marchés semblent résignés à accepter l’offre, estimant sans doute que le pays ne peut pas payer beaucoup plus, en dépit d’une croissance forte (8,7 % en 2003, 9 % en 2004) et de recettes fiscales record (100 milliards de pesos, soit 35 milliards de dollars, l’an dernier)», explique un banquier européen.

Une surprise et une menace

Tout en tablant sur la lassitude des investisseurs, le gouvernement a néanmoins prévu des produits adaptés à chaque catégorie de créanciers. Le bon «au pair», sans décote par rapport au nominal, payable en dollars, euros ou yens, a été pensé pour les petits porteurs domiciliés à l’étranger, dont les Italiens. Le «discount», avec une décote de 66,3 %, mais un délai plus court et les taux d’intérêts les plus élevés, est censé attirer les investisseurs institutionnels internationaux, notamment américains Quant au «quasi pair», sur 42 ans et d’une valeur inférieure de 30,1% au nominal, exclusivement en pesos, il a été fait sur mesure pour les fonds de pension et autres institutionnels locaux, qui détiennent 40% des bons en défaut: pour leurs adhérents, la perte sera du même ordre que celle subie par les épargnants victimes du corralito (blocage et «pesification» forcée des avoirs, en 2001 et 2002).

Avec une acceptation d’au moins 70%, l’opération pourra être considérée comme un succès. Dans ce cas, le pays pourra sans doute maintenir en 2005 la croissance enregistrée en 2003 et 2004. Un «plus» pour les créanciers, un bonus étant prévu si la hausse du PIB est supérieure aux prévisions. Roberto Lavagna a cependant fait savoir qu’il pourrait se contenter d’un taux d’acceptation de 50%. C’est une surprise, et une menace à l’égard de ceux qui n’accepteraient pas l’échange.
Le ministre a rappelé que le défaut concerne la seule dette avec les créanciers privés (un peu plus de la moitié de la dette totale), les échéances à l’égard des institutions multilatérales ayant toujours été respectées. Avec 50% d’acceptation, les deux tiers de la dette globale se trouveraient dans des conditions «normales». L’Argentine serait donc en droit de considérer qu’elle est sortie de la cessation de paiement, les titres non échangés pouvant demeurer indéfiniment en défaut.
Techniquement justifiée, la position de Lavagna paraît peu défendable politiquement. Les analystes l’interprètent comme une ultime pression sur les créanciers hésitants ou récalcitrants. Verdict le 25 février.


par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 13/01/2005 Dernière mise à jour le 13/01/2005 à 18:06 TU

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Emilio Jover

Président d'<I>iFi-L@tineco</I>, bureau d'études

«Le gouvernement argentin a privilégié la paix sociale au détriment de certaines entreprises privées qui s'estiment lésées.»

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