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Le retour fracassant de Menem

Carlos Menem salue ses partisans à son arrivée mercredi dans la province de la Rioja, après une absence de treize mois. 

		(Photo : AFP)
Carlos Menem salue ses partisans à son arrivée mercredi dans la province de la Rioja, après une absence de treize mois.
(Photo : AFP)
Auto-exilé au Chili pour échapper aux poursuites judiciaires engagées contre lui dans son pays, l’ancien président argentin Carlos Menem s’est offert mercredi un retour en fanfare sur ses terres natales. Il a critiqué durement la politique menée par l’actuel chef d’Etat, Nestor Kirchner, et a réaffirmé son intention de se briguer un nouveau mandat présidentiel aux élections de 2007.

S’agissait-il d’un triste spectacle médiatique ou d’un véritable retour politique ? Nombre d’analystes se posent cette question au lendemain du retour en Argentine de Carlos Menem, qui vivait depuis le mois de novembre 2003 au Chili. Agé de 74 ans, l’ancien président argentin, qui a dirigé le pays entre 1989 et 1999, avait dû repousser plusieurs fois ce voyage en raison de deux mandats d’arrêt internationaux lancés contre lui et restait à l’abri de l’autre côté de la Cordillère des Andes, le Chili ne possédant pas d’accord d’extradition avec son voisin. Et il attendait donc patiemment de pouvoir fouler le sol argentin sans se retrouver aux arrêts dans la foulée, une mésaventure qu’il avait déjà vécue en 2001. Poursuivi dans une affaire de trafic d’armes, il avait alors été assigné à résidence pendant 167 jours.

Carlos Menem est cette fois impliqué dans une affaire de corruption liée à la construction de deux prisons dans la banlieue de Buenos Aires, et, surtout, est soupçonné d’avoir détourné de l’argent déposé sur plusieurs comptes secrets découverts en Suisse. Et si les instructions de ces deux dossiers restent en cours, l’ancien président argentin a réussi à obtenir la levée des deux mandats d’arrêt en s’acquittant d’une caution d’un million de dollars, une somme réunie par ses proches et amis. Fort du feu vert du juge Norberto Oyarbide, Menem préparait depuis plusieurs jours son retour, en s’offrant même le luxe de publier lundi dans les plus grands quotidiens argentins un encart destiné à prouver son innocence dans l’affaire des comptes suisses. Ce texte reproduit notamment une résolution de la justice suisse en date du 30 septembre 2004 qui établit que Menem «ne dispose pas ou n’a pas disposé de comptes sur lesquels ont été réalisés des mouvements de fonds pendant le mandat présidentiel de l’intéressé (…)». Et Menem assure du coup être disculpé dans cette affaire, une affirmation qui n’engage que lui.

Se présentant comme la victime de la «plus grande campagne de dénigrement jamais vécue par un dirigeant politique», Carlos Menem a voulu montrer qu’il conservait, malgré ces attaques, le soutien de la population en s’offrant un bain de foule dans la province de la Rioja, dont il a déjà été élu trois fois gouverneur. Paradant au milieu de plusieurs milliers de personnes dans les rues de la capitale provinciale sur le toit d’une voiture, il a ensuite prononcé un discours très agressif contre le président Nestor Kirchner, élu à la tête de l’Argentine en mai 2003. «Je vous convoque tous pour que nous sauvions la patrie», a notamment déclaré l’ex-président argentin en expliquant que le pays vivait l’un des pires moments de son Histoire.

Un simple gadget

La classe politique argentine a évité, dans son ensemble, de commenter les propos acerbes de Menem. Le président Kirchner s’est ainsi contenté de critiquer «ceux qui ont fui et n’ont pas assumé le désastre qu’ils ont provoqué» en faisant allusion à la terrible crise économique qui a frappé le pays à la fin de l’année 2001 et dont les origines se trouvent notamment dans les dix années de présidence de Menem. En fait, la mise en scène du retour apparaît aux yeux de beaucoup d’observateurs comme une manœuvre supplémentaire de Menem pour attirer l’attention des médias. Depuis la fin de son mandat présidentiel en 1999, Carlos Menem s’évertue en effet à transformer chacune de ses apparitions en véritable spectacle, n’hésitant pas pour cela à utiliser sa vie privée. Son mariage en 2001 avec la Chilienne Cecilia Bolocco, une ex-miss Univers âgée de 35 ans de moins que lui, avait ainsi donné lieu à un incroyable événement médiatique dans la province de la Rioja où l’ancien président se trouvait alors assigné à résidence. Et depuis la naissance de leur fils Maximo l’an dernier, les deux époux ne cessent de faire la une des magazines people dans toute l’Amérique Latine.

Si cette stratégie a permis à Menem de ne pas disparaître de la vie publique, il n’est en revanche pas du tout certain qu’il soit capable de revenir en force sur la scène politique. «Le retour de Menem est plus une information qu’un fait politique. Pour l’opinion publique, il n’est plus une référence politique (…)» estime ainsi l’analyste Rosendo Fraga dans le  quotidien argentin Pagina 12, un journal qui a publié mercredi en une le photomontage d’un Père-Noël montrant la boite d’une poupée à l’effigie de Menem. Pour cette publication, l’ancien président argentin n’est plus qu’un simple gadget. «Carlos Menem est revenu comme il était parti : il ment sans scrupules» et «parle de sa décennie au pouvoir comme si la population avait eu une attaque d’amnésie», estime ainsi le journaliste Jose Maria Pasquini Duran.

Les Argentins n’ont notamment pas oublié que Carlos Menem avait choisi de retirer sa candidature juste avant le deuxième tour de l’élection présidentielle qui devait l’opposer à Nestor Kirchner. Il dénonçait déjà à l’époque «l’existence d’une campagne systématique de diffamation et de calomnie» et préférait jeter l’éponge après avoir pourtant gagné le premier tour. Mais les sondages qui lui prédisaient une très large défaite avaient effrayé cet «animal politique» à la longévité exceptionnelle. En laissant gagner son adversaire par forfait, Menem a alors probablement sonné définitivement le glas de ses chances présidentielles. Selon une récente enquête réalisée dans tout le pays, il recueille moins de 13% d’opinions favorables. Il conserve cependant une grande popularité dans son fief de la Rioja, une province dans laquelle il pourrait être tenté de retrouver un mandat électif pour ne pas disparaître de la vie politique de son pays.



par Olivier  Bras

Article publié le 23/12/2004 Dernière mise à jour le 23/12/2004 à 16:37 TU

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Alfredo Valladao

Professeur et directeur de la chaire Mercosur à Sciences po

«Dans le parti péroniste, en général les affaires ne se lavent pas en public»

[22/12/2004]

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