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Argentine

Kirchner président par forfait

Le deuxième tour de l’élection présidentielle argentine vient d’être annulé. Donné largement perdant du ballottage, Carlos Menem a préféré retirer mercredi sa candidature, permettant ainsi à son adversaire Nestor Kirchner de devenir le nouveau président de l’Argentine. Cette décision marque la fin de la carrière politique de Menem et risque de fragiliser le mandat du nouveau président.
«Même bourré, je ne renoncerais pas à ma candidature». Quelques jours à peine se sont écoulés entre le moment où Carlos Menem prononçait ses paroles et celui où il annonçait finalement son désistement de la course présidentielle. S’adressant en direct à tout le pays, il a déclaré mercredi à la télévision qu’il renonçait à sa candidature. «Les conditions ne sont pas réunies pour participer à un deuxième tour», a déclaré Carlos Menem, dénonçant notamment «l’existence d’une campagne systématique de diffamation et de calomnie». Tous les sondages réalisés au cours deux dernières semaines indiquaient une victoire triomphale de l’adversaire de Carlos Menem au deuxième tour, Nestor Kirchner, donné gagnant avec une avance d’une trentaine de points. Une sévère défaite se dessinait et Carlos Menem a finalement préféré s’éviter une sévère «gueule de bois» électorale.

D’après la loi électorale argentine, lorsqu’un candidat se retire du deuxième tour, celui-ci est purement est simplement annulé, le vainqueur du premier tour étant du coup proclamé président. Et au vu des résultats du 27 avril, le poste aurait donc du revenir à Carlos Menem. Il avait alors réussi un retour des plus réussis sur la scène politique argentine. Avec 24,34% des suffrages exprimés, il gagnait le premier tour des élections présidentielles devant Nestor Kirchner et pouvait ainsi espérer retrouver le poste qu’il avait dû céder en 1999 après dix années de pouvoir, la Constitution argentine interdisant plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Mais un véritable front «anti-Menem» s’est créé dans l’entre-deux tours. Plusieurs candidats éliminés du second tour avaient demandé à leurs électeurs de voter contre l’ex-président argentin, à commencer par Elisa Carrio, porte-parole de la lutte anti-corruption, qui les avait appelés à un «vote critique». Menem est accusé d’avoir laissé fin 1999 un héritage désastreux à son successeur Fernando de la Rua qui n’a pas pu empêcher l’Argentine de connaître ensuite la plus grave crise économique et sociale de son Histoire.

Le scrutin de dimanche allait donc avoir des airs de plébiscite pour l’ancien président argentin. A 72 ans, Menem s’apprêtait à vivre une défaite humiliante. Or, ce politicien controversé a toujours aimé rappeler qu’il n’avait jamais perdu une élection au cours de sa longue carrière. Souvent comparé à un boxeur pour sa capacité à encaisser des coups et à en donner, Carlos Menem a donc préféré jeter l’éponge plutôt que de terminer sur un K.O. Une option qui devrait lui permettre de maintenir en vie son réseau d’élus au cours des mois à venir, plusieurs échéances électorales approchant. Tous les observateurs politiques ont en effet noté que Carlos Menem avait choisi de privilégier ses intérêts personnels au détriment de ceux du pays. Un large triomphe de Nestor Kirchner dimanche aurait permis au nouveau président argentin de disposer d’une grande légitimité. Ce ne sera pas le cas et les détracteurs de Kirchner n’hésiteront pas à rappeler qu’il a obtenu 400 000 voix de moins que Menem lors du premier tour. Une situation dont l’Argentine, un pays fragilisée par une terrible crise politique voilà un an au cours de laquelle trois présidents de la République se sont succédés en moins d’un mois, se serait bien passée.

L’homme du consensus

«C'est une manœuvre sans précédent de la part d'un ancien président, qui ne réussit pas à se faire élire pour un troisième mandat, de tout balayer sans aucun égard pour les dégâts qu'il provoque», a déclaré Nestor Kirchner en prenant connaissance de la décision de Carlos Menem. Il ne fait pas de doute que le nouveau président aurait préféré un autre scénario. Se présentant comme l’homme du consensus tout au long de sa campagne, il attendait de ce deuxième tour une assise populaire qui lui fait cruellement défaut. Agé de 53 ans, Nestor Kirchner est depuis 1991 le gouverneur de la province pétrolière de Santa Cruz, située en pleine Patagonie. Né dans une région éloignée de près de 3 000 kilomètres de la capitale argentine, Nestor Kirchner, péroniste de toujours, ne jouit pas d’une aura nationale. Se décrivant lui-même comme «un gestionnaire sérieux et efficace», il a la réputation de gouverner de manière assez autoritaire la province de Santa Cruz peuplée d’environ 200 000 personnes. Il se targue d’y appliquer une politique rigoureuse aux résultats plutôt flatteurs puisque le taux de chômage ne dépasse pas officiellement les 3%, contre près de 20% pour l’ensemble du pays.

Dans une Argentine qui commence tout juste à retrouver un certain calme après avoir connu un profond chaos économique et politique, Nestor Kirchner incarne la continuité car il s’est engagé à poursuivre la politique appliquée depuis quelques mois par Eduardo Duhalde, sorte de président intérimaire. Certains membres de l’équipe gouvernementale en place devraient ainsi être reconduits, à commencer par l’actuel ministre de l’Economie Roberto Lavagna. Nestor Kirchner a déjà annoncé qu’il maintiendrait sa confiance à celui qui semble avoir réussi à remettre l’économie sur de bons rails. Les perspectives de croissance sont de nouveau d’actualité. De retour de Washington, une délégation argentine vient d’annoncer que le Fonds Monétaire International envisageait de passer un nouvel accord économique avec l’Argentine au vu des bons résultats enregistrés depuis le début de l’année en matière budgétaire.

A ses détracteurs qui lui reprochent de ne pas avoir l’étoffe nécessaire pour diriger un pays de 36 millions d’habitants, Nestor Kirchner a tenu à prouver pendant l’entre-deux tours qu’il possédait déjà le soutien de plusieurs pays dirigeants influents de la région. Il a ainsi été reçu la semaine dernière par le président brésilien Lula, puis par le chef d’Etat chilien Ricardo Lagos. Un soutien extérieur auquel Nestor Kirchner doit désormais rallier celui de la population argentine.

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Alfredo Valladão, professeur à Sciences-po et responsable de la chaire Mercosur explique qu'une victoire par forfait c'est du jamais vu. Il est l'invité de Frédérique Genot 15/05/2003, 5'40.



par Olivier  Bras

Article publié le 15/05/2003