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Argentine

Des élections dominées par la crise économique

Jamais une élection présidentielle n’a été aussi serrée en Argentine. Parmi les 18 candidats en lice pour le premier tour qui se déroule dimanche, cinq peuvent espérer, selon les derniers sondages, se retrouver au second tour. Cette élection intervient au moment où le pays semble commencer à relever la tête après une crise économique sans précédent.
Au lendemain du dernier scrutin présidentiel argentin organisé en 1999, plusieurs milliers d’affiches avaient recouvert les murs de Buenos Aires. Le président élu Fernando de la Rua n’avait pas encore pris ses fonctions que l’un de ses principaux opposants politiques, Carlos Menem, manifestait son intention de se présenter aux élections suivantes en placardant dans toute la ville des posters portant l’inscription «Menem 2003». Ce vieux briscard de la politique, président de l’Argentine entre 1989 et 1999, n’avait alors pas pu se présenter, la Constitution interdisant plus de deux mandats consécutifs. Quatre ans après, il est donné vainqueur du premier tour des élections présidentielles qui se déroulent dimanche 27 avril.

Le retour de Carlos Menem est d’autant plus surprenant que cet homme, à l’image de son pays, a vécu depuis 1999 une période très difficile. Il a notamment été privé de sa liberté de mouvement pendant 167 jours par un juge argentin qui enquêtait sur sa participation présumée à un trafic d’armes vers la Croatie et l’Equateur. Assigné à résidence dans sa luxueuse villa d’Anillaco, une bourgade du nord-est argentin, il avait alors réglé le problème des déplacements en faisant venir les médias à lui. Nombre d’anciens présidents des pays voisins ou vedettes argentines comme Maradona lui ont notamment rendu visite, vantant à chaque fois les grandes qualités de cet homme d’Etat. Et c’est dans ce même village que Carlos Menem a organisé ses noces en 2001, se remariant à 70 ans avec une ancienne miss Univers qui avait alors la moitié de son âge, la Chilienne Cecilia Bolocco. Utilisant une fois de plus sa vie privée au cours de la campagne électorale qui vient de se terminer, Carlos Menem a d’ailleurs annoncé, voilà quelques jours, que sa seconde épouse était enceinte.

La perspective d’imaginer «le Turc», un surnom que Menem doit à ses origines syriennes, à nouveau à la présidence de la République, consterne une grande partie de la population. Son nom est certes associé à un passé récent pendant lequel l’Argentine pouvait se targuer d’être une puissance économique. Mais beaucoup d’électeurs savent que les deux mandats présidentiels de Menem ont ensuite contribué à plonger le pays dans une profonde crise, son successeur récupérant en 1999 un pays grevé de dettes et rongé par la corruption. Fernando de la Rua n’a réussi à rester que quatorze mois au pouvoir, jusqu’en décembre 2001. De violentes émeutes secouent alors l’Argentine, coûtant la vie à plusieurs dizaines de manifestants. Le pays connaît une des pires crises économiques de ce siècle. Tous les dépôts bancaires sont gelés. Les Argentins ne peuvent plus retirer d’argent et voient leurs économies se dévaluer peu à peu. La parité entre le peso argentin et le dollar finit par être abandonnée par les autorités. Après une valse de présidents intérimaires, Eduardo Duhalde prend la direction du pays.

«Qu’ils s’en aillent tous!»

Un an plus tard, 18 candidats se disputent la présidence d’un pays qui commence à peine à relever la tête. Les séquelles sociales de la crise sont effroyables: près de 60% de la population vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit à moins de 242 dollars par mois pour une famille de quatre personnes, et 28% sont plongés dans l’extrême misère. Le taux de chômage atteint près de 20% de la population active. Dans certaines provinces argentines, la faim a fait sa réapparition. Une situation incompréhensible dans un pays qui a longtemps été l’un des principaux producteurs agricoles du monde. Le PIB par habitant a brutalement été divisé par quatre en quelques mois, passant de 8500 à 2700 dollars. La population a survécu en développant de nouvelles formes d’économies basées sur le troc et l’échange. Dans certaines villes, des entreprises en faillite ont été occupées par des collectifs de chômeurs qui ont relancé la production. Les fonctionnaires ont vu leurs salaires baisser considérablement et ont dû accepter d’être rémunérés en bons de paiement au lieu de pesos ou de dollars. Des monnaies parallèles voient le jour dans différentes provinces, à l’instar du patacon dans celle de Buenos Aires.

Les candidats en lice ont assuré au cours de la campagne que le plus dur était désormais passé et ont promis de remettre l’économie sur ses rails. L’un d’eux est un économiste libéral, Ricardo Lopez Murphy, éphémère ministre de l’Economie du gouvernement de la Rua. Il avait dû renoncer à ses fonctions au bout d’une semaine après avoir tenté de réduire drastiquement le budget de l’Education. Pendant sa campagne, il a soigneusement évité de parler d’économie, s’engageant à lutter activement contre l’insécurité et la faim. Un de ses principaux concurrents, Nestor Kirchner, a déjà annoncé qu’il conserverait, en cas de victoire, l’actuel ministre de l’Economie, Roberto Lavagna. Cet homme est un argument électoral de poids car il a permis de stabiliser une économie au bord du gouffre. De plus, Kirchner est soutenu par l’actuel président, Eduardo Duhalde. Et il pourrait donc faire partie des candidats présents au second tour qui se déroulera le 18 mai, tout comme Alfredo Saa et Elisa Carrio, une croisée de la lutte contre la corruption.

L’héritage économique et social sera donc très lourd à assumer pour le prochain président. Parmi les dossiers brûlants se trouve notamment la hausse des tarifs des services publics, une des conditions imposées par le Fond monétaire international pour la poursuite de son plan d’aide. Le FMI a d’ores et déjà annoncé qu’il travaillerait avec n’importe lequel des vainqueurs de ces élections. Après de longs mois de négociations, l’institution financière internationale a accepté de débloquer à nouveau des crédits pour l’Argentine dont la dette publique dépasse les 100 milliards de dollars. Certains indicateurs économiques sont à la hausse. Après deux années de sévère récession, le FMI prévoit pour 2003 une augmentation du PIB argentin de 1,5%. L’illusion du retour de la croissance a bien sûr été largement utilisée par les différents candidats qui annoncent des jours meilleurs à l’électorat. Leurs promesses laissent pourtant sceptique une grande partie de la population. Les politiques n’inspirent plus guère confiance dans un pays miné par la mauvaise gestion. Et pendant de longs mois, les manifestants qui descendaient dans les rues n’ont d’ailleurs eu qu’un seul slogan: «qu’ils s’en aillent tous!».



par Olivier  Bras

Article publié le 26/04/2003