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Argentine

Un an après, un pays toujours en crise

La chute du président Fernando de la Rua, le 20 décembre 2001, a révélé la profondeur d’une crise qui est loin d’être terminée aujourd’hui.
De notre correspondant à Buenos Aires

Assemblées de quartier, meetings, défilés: avec une mobilisation qui devait atteindre son maximum vendredi après-midi à Buenos Aires, lors d’une grande manifestation Place de Mai, les Argentins ont tenu à commémorer le premier anniversaire des tragiques événements qui ont conduit à la démission du président Fernando de la Rua, le 20 décembre 2001. Ce qui est resté comme une sorte de révolution dans l’esprit de certains et que d’autres ont vécu comme un chaos a été tout à la fois une explosion sociale, un effondrement économique et une grave crise institutionnelle.

Le compte à rebours a commencé le 30 novembre, quand le ministre de l’Economie Domingo Cavallo, le père de la convertibilité, un système de taux de change fixe liant le peso argentin à parité avec le dollar, tente de freiner la fuite des capitaux en imposant des restrictions bancaires. Le corralito fait enrager les classes moyennes, dont la confiance se voit une nouvelle fois trahie. Mais le blocage des dépôts, en réduisant brusquement les espèces en circulation, laisse les plus défavorisés, dépendants des circuits informels, quasiment sans ressources du jour au lendemain. De fait, les pauvres ont été les premières victimes du corralito. Quelques jours plus tard, des commerces sont attaqués à l’intérieur du pays, tandis que s’organisent les premières protestations où des familles frappent sur des casseroles.

La moitié de la population est passée sous le seuil de pauvreté

Le 19 décembre, les pillages de supermarchés se généralisent dans la banlieue de Buenos Aires et plusieurs villes de province. La situation devient rapidement incontrôlable, en raison de la passivité de la police, sans doute encouragée par les calculs politiques de l’opposition péroniste, et de la probable participation d’activistes. La maladroite réaction du président, qui sacrifie Cavallo mais minimise les faits tout en décrétant l’état de siège, conduit les classes moyennes à occuper la Place de Mai, où retentit le premier «cacerolazo» massif au cri de «Qu’ils partent tous!». A deux heures du matin, la police dégage brutalement la place alors qu’il n’y avait pas eu d’incidents et que beaucoup avaient rejoint la manifestation avec des enfants. Le lendemain, des milliers de personnes, simples citoyens et militants politiques mêlés, occupent à nouveau les lieux, avec un seul mot d’ordre: que De la Rua s’en aille. La répression sera très violente. Lâché par ses amis du Parti radical, le chef de l’Etat signe sa démission avant de fuir en hélicoptère. Ces deux jours de folie auront laissé un bilan de trente-trois morts, tombés sous les balles de commerçants ou abattus par les forces de sécurité.

Témoignant de la profondeur de la crise, la chute de De la Rua ne met pas fin au délabrement politique et économique du pays. Le premier successeur élu par le Congrès, le péroniste Adolfo Rodríguez Saa, ne reste au pouvoir qu’une semaine. Le temps de proclamer la cessation de paiement à l’égard des créanciers privés, une mesure sans doute inévitable mais mal préparée : unilatérale, elle ferme durablement les portes du crédit international à l’Argentine. Son successeur, également péroniste, Eduardo Duhalde, encore aux commandes aujourd’hui, démarre sur une erreur du même genre en dévaluant la monnaie sans plan d’accompagnement, confiant d’ailleurs que le Fonds monétaire international (FMI) reprendrait son aide comme prime pour l’abandon de la convertibilité.

La dévaluation, qui porte le dollar à 3,50 pesos tandis que le panier de la ménagère augmente de 60%, ne favorise que certains groupes économiques. Et, une nouvelle fois, les principales victimes sont les plus défavorisés: en un an, le nombre d’Argentins vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 25% à 51% de la population. Alors que ce taux n’atteignait pas 12% historiquement, quand le pays était le plus égalitaire d’Amérique latine, aujourd’hui, la malnutrition frappe les provinces du nord.

Dans un tel contexte, les mouvements piqueteros, qui regroupent des chômeurs et dont la forme d’action est le blocage des routes, ont relancé le «Qu’ils partent tous», de décembre 2001. Sans illusions: la classe politique, principale responsable du désastre, n’est toujours pas à l’écoute de la société. La rénovation ne sera pas au rendez-vous de la présidentielle d’avril 2003, qui se limite pour l’instant à un affrontement entre barons du péronisme. Un an après la chute de De la Rua, la crise argentine est loin d’être terminée.



par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 20/12/2002