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Argentine

Le peso toujours sous influence

Le flottement de la monnaie argentine pourrait entraîner une envolée du dollar alimentée par le retour de l’inflation.
De notre correspondant en Argentine

Le peso argentin pourra-t-il résister à l’abandon du taux de change fixe le liant au dollar, décision rendue publique le dimanche 3 février ? Il faut remonter à près de 11 ans en arrière pour trouver une situation similaire. Le 1er avril 1991 en effet, dans le cadre du régime dit de convertibilité institué par le ministre de l’Économie Domingo Cavallo, l’Argentine avait rattaché sa monnaie à la devise américaine au taux de un pour un. La crise de l’an dernier, notamment l’accélération de la fuite de capitaux (entre mars et novembre, quelque 20 milliards de dollars ont quitté le pays), puis le blocage des comptes bancaires (61 milliards ont été gelés grâce au corralito, ou parc à bébés) a mis à mort un tel système.

Eduardo Duhalde, qui accède au pouvoir le 1er janvier 2002, abandonne rapidement la convertibilité mais ne laisse pas pour autant le peso flotter librement. Celui qui est considéré le véritable successeur de Fernando de la Rua, après l’intermède représenté par Adolfo Rodriguez Saa, institue d’abord un double taux de change : l'un, officiel, à 1,40 peso pour un dollar, s’appliquant à certaines opérations, dont le commerce extérieur ; l'autre, effectivement libre, concernant notamment les particuliers. Sur ce marché, le dollar a tourné autour de 2,1 pesos, la faible circulation monétaire et les interventions de la Banque centrale expliquant cette relative modération.
Le Fonds monétaire international (FMI) appréciait peu ce régime hybride et réclamait une «opération vérité», c’est-à-dire le flottement du peso, auquel le gouvernement s’est finalement résolu. Mais, après l’annonce de la mesure par le ministre de l’Économie Jorge Remes Lenicov, il a dû introduire des dispositions supplémentaires, visant à freiner la demande, et reculer la date de réouverture du marché des changes, dans la crainte d’une irrésistible ascension de la devise américaine.

Ainsi, seuls les bureaux de change ont été autorisés à opérer, les banques ayant été obligés de céder à l'institut d'émission les dollars en leur possession, au taux de 1,40. Avec les 5,5 milliards de dollars en provenance des établissements bancaires et les 9 milliards de réserves en devises de la Banque centrale, celle-ci s’est dotée une force d'intervention de 14,5 milliards de dollars. La monnaie en circulation est de près de 11 milliards de pesos. Vont s'y ajouter progressivement quelque 9 milliards, correspondant aux salaires, indemnités et retraites libérés par la levée partielle du corralito. Même si tous ces pesos étaient apportés aux bureaux de change, les autorités monétaires devraient pouvoir faire face.

La «pesification» de l’économie

Comment expliquer, alors, que l’on prévoie un dollar à 3, 5, voire 10 pesos ? D’abord, à cause de l’inflation : inexistante sous la convertibilité, la hausse des prix a atteint 2,3 % en janvier, après la dévaluation. Elle s’accélère désormais, avec la «pesification» de l’économie et la libération du taux de change. Au rythme actuel, le spectre de l’hyper-inflation se profile à l’horizon. De quoi renforcer la méfiance des Argentins à l’égard de leur monnaie, donc les pousser plus encore vers le dollar, valeur refuge traditionnelle, alimentant du même coup spirale inflationniste et chute du peso.

Les conditions dans lesquelles a été réalisée ladite «pesification», favorables aux débiteurs (les dettes en dollars ont été changées en pesos au taux de un pour un) au détriment des épargnants (les 45 milliards de dépôts en devise américaine ont été convertis au taux de 1,40), ne font qu’accentuer le phénomène : plus le peso se dévalue, plus l’endettement des grandes entreprises argentines, exprimé en dollars, diminue. Et nombre d’entre elles ont aussi des comptes en devises à l’étranger, lesquels, a contrario, se réévaluent… Quant aux exportateurs, notamment agricoles, ils retiennent leurs dollars depuis décembre : plus ils attendent, mieux ils vendront, fut-ce au prix du blocage du commerce extérieur.

Pour certains observateurs qui ne sont pas tous des pessimistes impénitents, il pourrait ne pas y avoir d’issue, bientôt, à l’effondrement du peso que la… dollarisation.



par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 06/02/2002