Argentine
Qui sont les Péronistes ?
La démission du président Fernando de la Rúa a permis le retour aux affaires des Péronistes en Argentine. Depuis la fin des années 40, ils composent une force quasi incontournable du paysage politique. De Perón au nouveau président Duhalde, retour sur 50 ans d’histoire argentine.
Après la Seconde guerre mondiale, l’Argentine est un pays riche mais la société demeure profondément inégalitaire : seul un cinquième des seize millions d’habitants appartient aux catégories socioprofessionnelles moyennes ou supérieures. Le problème de l’intégration économique et sociale des couches les plus populaires se pose, particulièrement pour la classe ouvrière, classe nouvelle, sans réelle tradition, gonflée par l’exode rural et l’industrialisation croissante du pays.
La solution va être apportée par le général Juan Domingo Perón, figure montante du gouvernement militaire au pouvoir à Buenos Aires durant les années 40. Perón préconise l’indépendance nationale, la redistribution sociale. Ce programme évoque le fascisme, que Perón a connu alors qu’il était attaché à l’ambassade d’Argentine à Rome. Peu importent les inspirations : le discours plaît et les classes populaires l’élisent massivement à la présidence en 1946. Les classes moyennes approuvent. Les péronistes se fédèrent au sein du Parti justicialiste.
Perón augmente les salaires, accorde les premiers congés payés, donne le droit de vote aux femmes, nationalise des entreprises (comme les chemins de fer, gérés par les Britanniques). La classe ouvrière, encadrée par le tout-puissant syndicat CGT, est reconnaissante. Eva Perón, dite Evita, la femme du général, prend en charge les plus pauvres et devient leur égérie. A sa mort, en 1952, tous hurleront leur douleur.
Perón est réélu mais la situation économique se dégrade. En 1955, la crise s’est encore aggravée. L’autoritarisme du président lasse les classes moyennes, la vieille aristocratie et l’armée. En septembre, un coup d’état militaire chasse Perón du pouvoir. Après de brefs séjours dans plusieurs pays latino-américains, le général est accueilli par l’ Espagne franquiste. C’est le début d’un exil qui durera près de vingt ans.
Perón retrouve le pouvoir après dix-huit ans d’exil
Après 1966, les militaires s’installent à nouveau au pouvoir à Buenos Aires. La contestation ne tarde pas à gagner toutes les couches de la société. Des groupes révolutionnaires font leur apparition en Argentine, nourris de l’exemple de la révolution cubaine et des événements du printemps 68. Parmi eux, les Montoneros, à l’extrême-gauche du péronisme, qui multiplient les kidnappings et les assassinats. En 1973, les militaires lâchent le pouvoir. C’est Hector Cámpora, une figure de la gauche péroniste, qui est élu président. Perón rentre alors en Argentine. Les classes populaires lui ont gardé leur confiance : des millions de personnes font un triomphe au vieux général. En septembre 1973, Perón voit les Argentins le plébisciter lors des nouvelles élections. Isabel, sa nouvelle épouse, est vice-présidente. A la mort de Perón, quelques mois plus tard, elle lui succède. La présidence d’Isabel Perón est chaotique. Elle laisse López Rega, son principal conseiller, accentuer la droitisation du parti péroniste : après les Montoneros, la plupart des militants de gauche sont peu à peu écartés du pouvoir ; certains seront éliminés. Ces violences politiques se doublent de troubles économiques et sociaux : l’inflation ne cesse de monter et la corruption est omniprésente.
En 1976, un nouveau coup d’état militaire met un terme à la restauration péroniste. La dictature ne va pas se montrer tendre avec les militants du Parti justicialiste : nombre d’entre eux sont emprisonnés (c’est le cas du futur président Carlos Menem) ou contraints à l’exil. Les syndicats, qui restent tenus par les péronistes, sont à la pointe de nombreux combats contre la junte. Pourtant, quand la démocratie est rétablie, en 1983, c’est à Raúl Alfonsín et au parti radical, l’autre grande formation politique argentine, que la population va accorder sa confiance.
En 1989, Alfonsín, usé par la crise économique (l’inflation bat des records), perd les élections face à un péroniste d’un genre nouveau : Carlos Menem, ouvertement libéral. Le programme mis en œuvre rompt largement avec celui du père fondateur. Menem privatise à tout va. En 1991, il accepte l’idée de son ministre de l’économie Domingo Cavallo d’établir la parité entre le dollar et le peso. Les résultats sont là : l’inflation est maîtrisé, la croissance repart. A l’époque, il est sans doute moins question de «péronisme» que de «ménémisme».
Les choses se gâtent lors du second mandat de Menem, après 1995. Les frasques du président, qui ne cache pas son amour des jolies femmes, lassent la population. Son nom est cité dans des affaires de corruption. La dette extérieure et le chômage s’envolent. En 1999, après la dévaluation du real brésilien, le pays retombe dans la récession économique. Les autres dirigeants péronistes ne cachent plus leur hostilité à Menem. Ils investissent Eduardo Duhalde, son ancien vice-président devenu ennemi pour l’élection présidentielle (octobre 1999). En vain, puisque c’est finalement le radical Fernando de la Rúa qui est élu.
On connaît la suite : l’Argentine s’enfonce dans une impasse économique. Lors des élections législatives d’octobre dernier, les justicialistes rassemblent une nouvelle fois les suffrages de couches populaires précarisées et confrontées à la pauvreté. Après la démission de De la Rúa, l’éphémère président Adolfo Rodríguez Saá tente même de renouer avec les vieilles ficelles du péronisme, annonçant par exemple la création d’un million d’emplois. Son échec a souligné combien les péronistes, tout comme l’ensemble de la classe politique, restaient aujourd’hui largement discrédités.
(Avec la collaboration de Jean-Louis Buchet, éditeur de La Lettre de l’Amérique du Sud)
La solution va être apportée par le général Juan Domingo Perón, figure montante du gouvernement militaire au pouvoir à Buenos Aires durant les années 40. Perón préconise l’indépendance nationale, la redistribution sociale. Ce programme évoque le fascisme, que Perón a connu alors qu’il était attaché à l’ambassade d’Argentine à Rome. Peu importent les inspirations : le discours plaît et les classes populaires l’élisent massivement à la présidence en 1946. Les classes moyennes approuvent. Les péronistes se fédèrent au sein du Parti justicialiste.
Perón augmente les salaires, accorde les premiers congés payés, donne le droit de vote aux femmes, nationalise des entreprises (comme les chemins de fer, gérés par les Britanniques). La classe ouvrière, encadrée par le tout-puissant syndicat CGT, est reconnaissante. Eva Perón, dite Evita, la femme du général, prend en charge les plus pauvres et devient leur égérie. A sa mort, en 1952, tous hurleront leur douleur.
Perón est réélu mais la situation économique se dégrade. En 1955, la crise s’est encore aggravée. L’autoritarisme du président lasse les classes moyennes, la vieille aristocratie et l’armée. En septembre, un coup d’état militaire chasse Perón du pouvoir. Après de brefs séjours dans plusieurs pays latino-américains, le général est accueilli par l’ Espagne franquiste. C’est le début d’un exil qui durera près de vingt ans.
Perón retrouve le pouvoir après dix-huit ans d’exil
Après 1966, les militaires s’installent à nouveau au pouvoir à Buenos Aires. La contestation ne tarde pas à gagner toutes les couches de la société. Des groupes révolutionnaires font leur apparition en Argentine, nourris de l’exemple de la révolution cubaine et des événements du printemps 68. Parmi eux, les Montoneros, à l’extrême-gauche du péronisme, qui multiplient les kidnappings et les assassinats. En 1973, les militaires lâchent le pouvoir. C’est Hector Cámpora, une figure de la gauche péroniste, qui est élu président. Perón rentre alors en Argentine. Les classes populaires lui ont gardé leur confiance : des millions de personnes font un triomphe au vieux général. En septembre 1973, Perón voit les Argentins le plébisciter lors des nouvelles élections. Isabel, sa nouvelle épouse, est vice-présidente. A la mort de Perón, quelques mois plus tard, elle lui succède. La présidence d’Isabel Perón est chaotique. Elle laisse López Rega, son principal conseiller, accentuer la droitisation du parti péroniste : après les Montoneros, la plupart des militants de gauche sont peu à peu écartés du pouvoir ; certains seront éliminés. Ces violences politiques se doublent de troubles économiques et sociaux : l’inflation ne cesse de monter et la corruption est omniprésente.
En 1976, un nouveau coup d’état militaire met un terme à la restauration péroniste. La dictature ne va pas se montrer tendre avec les militants du Parti justicialiste : nombre d’entre eux sont emprisonnés (c’est le cas du futur président Carlos Menem) ou contraints à l’exil. Les syndicats, qui restent tenus par les péronistes, sont à la pointe de nombreux combats contre la junte. Pourtant, quand la démocratie est rétablie, en 1983, c’est à Raúl Alfonsín et au parti radical, l’autre grande formation politique argentine, que la population va accorder sa confiance.
En 1989, Alfonsín, usé par la crise économique (l’inflation bat des records), perd les élections face à un péroniste d’un genre nouveau : Carlos Menem, ouvertement libéral. Le programme mis en œuvre rompt largement avec celui du père fondateur. Menem privatise à tout va. En 1991, il accepte l’idée de son ministre de l’économie Domingo Cavallo d’établir la parité entre le dollar et le peso. Les résultats sont là : l’inflation est maîtrisé, la croissance repart. A l’époque, il est sans doute moins question de «péronisme» que de «ménémisme».
Les choses se gâtent lors du second mandat de Menem, après 1995. Les frasques du président, qui ne cache pas son amour des jolies femmes, lassent la population. Son nom est cité dans des affaires de corruption. La dette extérieure et le chômage s’envolent. En 1999, après la dévaluation du real brésilien, le pays retombe dans la récession économique. Les autres dirigeants péronistes ne cachent plus leur hostilité à Menem. Ils investissent Eduardo Duhalde, son ancien vice-président devenu ennemi pour l’élection présidentielle (octobre 1999). En vain, puisque c’est finalement le radical Fernando de la Rúa qui est élu.
On connaît la suite : l’Argentine s’enfonce dans une impasse économique. Lors des élections législatives d’octobre dernier, les justicialistes rassemblent une nouvelle fois les suffrages de couches populaires précarisées et confrontées à la pauvreté. Après la démission de De la Rúa, l’éphémère président Adolfo Rodríguez Saá tente même de renouer avec les vieilles ficelles du péronisme, annonçant par exemple la création d’un million d’emplois. Son échec a souligné combien les péronistes, tout comme l’ensemble de la classe politique, restaient aujourd’hui largement discrédités.
(Avec la collaboration de Jean-Louis Buchet, éditeur de La Lettre de l’Amérique du Sud)
par Nicolas Sur
Article publié le 03/01/2002