Argentine
Après Cavallo, qui ?
La mise en détention de l’ancien ministre de l’Economie, considéré par beaucoup de ses concitoyens comme l’un des principaux responsables de la crise actuelle, pourrait annoncer d’autres inculpations de personnalités.
De notre correspondant à Buenos Aires
C'est peu dire que la mise en détention de Domingo Felipe Cavallo, le 3 avril, dans le cadre d’une enquête sur des ventes illégales d’armes où il n’a manifestement pas joué un rôle de premier plan, a surpris. Ministre de l’Economie sous les présidences de Carlos Menem, entre 1991 et 1996, puis de Fernando de la Rúa, de mars à décembre 2001, cet économiste de 55 ans a été l’un des Argentins les plus influents de la dernière décennie, dans son pays comme à l’étranger.
Ancien patron de la Banque centrale, Cavallo accède à la notoriété en avril 1991, quand il institue la «convertibilité», un système monétaire liant le peso au dollar par un taux de change fixe et garanti par un contrôle très strict de l’émission. L’hyper-inflation est vaincue, la stabilité retrouvée et l’Argentine renoue avec la croissance : plus de 6,5 % par an, deuxième rang mondial après la Chine. Quand il quitte le pouvoir en 1996, on parle volontiers à l’étranger d’un «miracle économique» dont il serait le père. Cinq ans plus tard, il est rappelé par De la Rúa, alors que l’Argentine est en récession et que la parité avec le dollar s’est transformée en corset. Ne réussissant pas à rétablir la confiance, il répond à la fuite des capitaux par le blocage des comptes bancaires, le 1er décembre de la même année : c’est le «corralito» et la ruine des épargnants qui lui avaient fait confiance. Devenu l’homme de la débâcle, il démissionne le 19 décembre, vingt-quatre heures avant la chute du président.
Une justice «à la carte»
Cité à comparaître par le juge Julio Speroni le 9 avril, Cavallo avait demandé d’avancer la date de la convocation au 3, en raison d’un voyage qu’il devait effectuer aux Etats-Unis. Le magistrat a ordonné son arrestation dès la fin de l’interrogatoire alors qu’il disposait de dix jours pour se prononcer : l’ancien ministre est mis en cause pour avoir signé les décrets qui ont permis, entre 1991 et 1995, de fournir des armes à deux pays alors sous embargo, la Croatie et l’Equateur. En septembre dernier, le même juge avait estimé ne pas disposer d’éléments suffisants pour l’inculper. A l’époque, Cavallo était encore au pouvoir. A l’époque aussi, d’anciens dirigeants n’occupant plus de charges publiques, à commencer par Carlos Menem, avaient, eux, été jetés en prison, toujours pour cette affaire, sur ordre d’un autre magistrat, Jorge Urso. D’où le soupçon d’une justice «à la carte» qui plane sur la décision de Speroni. L’examen des faits appelle à plus de nuances.
En effet, le juge Speroni, dont nul ne conteste l’indépendance a certainement pu étoffer son dossier depuis septembre. Suite à un arrêt de la Cour suprême, il s’est vu confier la reprise de l’ensemble des plaintes concernant l’affaire, après dessaisissement de deux autres magistrats, dont Jorge Urso. Parallèlement, le haut tribunal, au motif que la qualification d’ «association de malfaiteurs» retenue par ce dernier pour décider la mise détention provisoire de Menem et de trois autres personnes n’était pas fondée, ordonnait la libération des prévenus. Certains ont alors regretté que l’ex-président puisse échapper à la justice, mais les juristes ont estimé que l’arrêt avait fait prévaloir le droit. L’arrestation de Cavallo apparaît ainsi comme la résultante d’un enchaînement de décisions parfois contradictoires dont la logique ne peut se résumer au seul opportunisme politique. Elle n’en est pas moins chargée d’ambiguïté. Car les juges argentins, largement émancipés des pressions du pouvoir, sont volontiers soumis à l’influence de l’opinion publique. Et il ne fait pas de doute que Cavallo est une des personnalités les plus décriées aujourd’hui. Pour beaucoup, son arrestation apparaît d’abord comme une simple revanche, indépendamment du bien-fondé de la décision.
Il pourrait cependant en être autrement dans les prochaines semaines, quand Cavallo devra se présenter devant les tribunaux pour des questions plus directement liées à son action, notamment des manipulations concernant des bons d’Etat lors de la restructuration de la dette ou des instructions données aux banques à l’occasion du blocage des comptes. En attendant, peut-être, que Jorge Speroni s’intéresse à nouveau au rôle de Menem dans l’enquête sur les armes. Sans oublier la juge Servini de Cubria qui a interrogé De la Rúa sur ses responsabilités dans la répression qui a fait 5 morts le 20 décembre dernier sur la Place de Mai.
C'est peu dire que la mise en détention de Domingo Felipe Cavallo, le 3 avril, dans le cadre d’une enquête sur des ventes illégales d’armes où il n’a manifestement pas joué un rôle de premier plan, a surpris. Ministre de l’Economie sous les présidences de Carlos Menem, entre 1991 et 1996, puis de Fernando de la Rúa, de mars à décembre 2001, cet économiste de 55 ans a été l’un des Argentins les plus influents de la dernière décennie, dans son pays comme à l’étranger.
Ancien patron de la Banque centrale, Cavallo accède à la notoriété en avril 1991, quand il institue la «convertibilité», un système monétaire liant le peso au dollar par un taux de change fixe et garanti par un contrôle très strict de l’émission. L’hyper-inflation est vaincue, la stabilité retrouvée et l’Argentine renoue avec la croissance : plus de 6,5 % par an, deuxième rang mondial après la Chine. Quand il quitte le pouvoir en 1996, on parle volontiers à l’étranger d’un «miracle économique» dont il serait le père. Cinq ans plus tard, il est rappelé par De la Rúa, alors que l’Argentine est en récession et que la parité avec le dollar s’est transformée en corset. Ne réussissant pas à rétablir la confiance, il répond à la fuite des capitaux par le blocage des comptes bancaires, le 1er décembre de la même année : c’est le «corralito» et la ruine des épargnants qui lui avaient fait confiance. Devenu l’homme de la débâcle, il démissionne le 19 décembre, vingt-quatre heures avant la chute du président.
Une justice «à la carte»
Cité à comparaître par le juge Julio Speroni le 9 avril, Cavallo avait demandé d’avancer la date de la convocation au 3, en raison d’un voyage qu’il devait effectuer aux Etats-Unis. Le magistrat a ordonné son arrestation dès la fin de l’interrogatoire alors qu’il disposait de dix jours pour se prononcer : l’ancien ministre est mis en cause pour avoir signé les décrets qui ont permis, entre 1991 et 1995, de fournir des armes à deux pays alors sous embargo, la Croatie et l’Equateur. En septembre dernier, le même juge avait estimé ne pas disposer d’éléments suffisants pour l’inculper. A l’époque, Cavallo était encore au pouvoir. A l’époque aussi, d’anciens dirigeants n’occupant plus de charges publiques, à commencer par Carlos Menem, avaient, eux, été jetés en prison, toujours pour cette affaire, sur ordre d’un autre magistrat, Jorge Urso. D’où le soupçon d’une justice «à la carte» qui plane sur la décision de Speroni. L’examen des faits appelle à plus de nuances.
En effet, le juge Speroni, dont nul ne conteste l’indépendance a certainement pu étoffer son dossier depuis septembre. Suite à un arrêt de la Cour suprême, il s’est vu confier la reprise de l’ensemble des plaintes concernant l’affaire, après dessaisissement de deux autres magistrats, dont Jorge Urso. Parallèlement, le haut tribunal, au motif que la qualification d’ «association de malfaiteurs» retenue par ce dernier pour décider la mise détention provisoire de Menem et de trois autres personnes n’était pas fondée, ordonnait la libération des prévenus. Certains ont alors regretté que l’ex-président puisse échapper à la justice, mais les juristes ont estimé que l’arrêt avait fait prévaloir le droit. L’arrestation de Cavallo apparaît ainsi comme la résultante d’un enchaînement de décisions parfois contradictoires dont la logique ne peut se résumer au seul opportunisme politique. Elle n’en est pas moins chargée d’ambiguïté. Car les juges argentins, largement émancipés des pressions du pouvoir, sont volontiers soumis à l’influence de l’opinion publique. Et il ne fait pas de doute que Cavallo est une des personnalités les plus décriées aujourd’hui. Pour beaucoup, son arrestation apparaît d’abord comme une simple revanche, indépendamment du bien-fondé de la décision.
Il pourrait cependant en être autrement dans les prochaines semaines, quand Cavallo devra se présenter devant les tribunaux pour des questions plus directement liées à son action, notamment des manipulations concernant des bons d’Etat lors de la restructuration de la dette ou des instructions données aux banques à l’occasion du blocage des comptes. En attendant, peut-être, que Jorge Speroni s’intéresse à nouveau au rôle de Menem dans l’enquête sur les armes. Sans oublier la juge Servini de Cubria qui a interrogé De la Rúa sur ses responsabilités dans la répression qui a fait 5 morts le 20 décembre dernier sur la Place de Mai.
par Jean-Louis Buchet
Article publié le 06/04/2002