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Argentine

Vingt ans après, les leçons des Malouines

La commémoration du vingtième anniversaire de la tentative de «récupération» de ces territoires par la force est l’occasion d’un retour lucide des Argentins sur une époque difficile. Et, pour certains, d’un parallèle sans concessions entre 1982 et 2002.
De notre correspondant à Buenos Aires

Avec des drapeaux en berne dans tout le pays et une cérémonie du souvenir à Ushuaia, l’Argentine commémore, ce mardi 2 avril, le vingtième anniversaire du début de la guerre des Malouines. Le choix de la capitale de la Terre de Feu pour réunir anciens combattants et proches des disparus en présence du président Eduardo Duhalde ne s’explique pas seulement par la proximité du théâtre des opérations: pour les Argentins, les Malouines, comme les autres îles de l’Atlantique sud dont ils revendiquent la souveraineté, dépendent de cette province. Une dépendance virtuelle, bien sûr, puisque ces territoires qui faisaient partie du Vice-royaume du Río de la Plata du temps de la colonisation espagnole, puis de l’Argentine lors de l’indépendance en 1816, ont été occupés par le Royaume Uni en 1833. Depuis lors, les Falkland ne sont redevenues Malvinas (forme hispanique de Malouines, nom d’origine de l’archipel, dû à sa découverte par des marins provenant de Saint-Malo) que durant deux mois et demi, entre le 2 avril et le 14 juin 1982.

A l’époque, le conflit avait surpris tout le monde, tant l’hypothèse d’une guerre entre l’Argentine et le Royaume-Uni paraissait absurde. D’ailleurs, le général Leopoldo Galtieri, troisième président issu de la junte militaire au pouvoir à Buenos Aires depuis 1976, avait échafaudé son plan avec la conviction que les Britanniques n’interviendraient pas. Le débarquement, censé relancer un régime de plus en plus contesté - les grandes forces politiques traditionnelles se sont rapprochées pour réclamer des élections – est d’abord prévu pour le mois de mai, peu avant que commence le mauvais temps dans la région. Mais Galtieri décide de l’accélérer: le 2 avril 1982, Port Stanley, la capitale de l’archipel, tombe. Elle est rebaptisée Puerto Argentino, comme dans les cartes des manuels scolaires argentins. A Buenos Aires, des milliers de manifestants saluent la «récupération historique».

Commence alors le temps de la diplomatie. Le Conseil de sécurité des Nations unies demande le retrait de l’Argentine et l’ouverture de négociations, malgré l’annonce, par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher, de la constitution d’une armada destinée à reconquérir les îles. Entre le 12 avril, date de l’arrivée dans l’Atlantique Sud des premiers éléments de la flotte, et le 1er mai, des médiations sont tentées, dont celle du secrétaire d’État américain Alexander Haig, qui fait savoir au général Galtieri que les États-Unis appuieront la Grande-Bretagne. Le 2 mai, le sous-marin nucléaire HMS Conqueror envoie par le fond le croiseur argentin General Belgrano en dehors de la «zone d’exclusion» définie par les Britanniques. Le point de non-retour est atteint.

Après le Sheffield, coulé le 4 mai, l’aviation argentine inflige de lourdes pertes à ses adversaires. Elle ne peut empêcher les Britanniques d’établir une tête de pont sur les îles entre le 21 et le 25. La bataille de Goose Green, entre le 27 et le 29, ouvre la route de Puerto Argentino. Le 14 juin, le général Mario Benjamín Menendez, commandant de la place, se rend au général Jeremy Moore. La capitale des Falkland redevient Port Stanley. Quelques semaines plus tard, le général Galtieri doit céder la place. La transition politique s’accélère: le 10 décembre 1983, le radical Raúl Alfonsín accède à la présidence. Depuis, le pays a connu près de deux décennies de vie démocratique.

L’irresponsabilité d’une dictature

Vingt ans après, l’état d’esprit de la majorité des Argentins à l’égard du conflit ressort assez clairement des témoignages publiés à cette occasion. La légitimité de la revendication historique n’est nullement remise en cause, comme est unanimement saluée la mémoire des 649 soldats et officiers qui ont laissé leur vie (avec 255 Britanniques) dans l’Atlantique sud. Mais on dénonce l’irresponsabilité d’une dictature qui a fait reculer les possibilités d’atteindre l’objectif affiché et a envoyé des hommes à la mort pour se maintenir au pouvoir. Certains regrettent de s’être laissé prendre. Et, à l’heure de la récession et des comptes bancaires bloqués, on n’hésite pas à faire un parallèle entre 2002 et 1982 : comme l’échec des Malouines a conduit les militaires à s’effacer, la crise actuelle ne marquerait-elle pas la fin de la classe politique de la restauration démocratique?



par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 02/04/2002