Argentine
Cinquante ans après, Evita est de retour
Ce 26 juillet, cinquantième anniversaire de la mort d’Eva Perón, de très nombreuses manifestations saluent la mémoire d’une femme qui a marqué le destin de l’Argentine. Après deux décennies d’oubli, les jeunes générations découvrent une personnalité très différente de la classe politique d’aujourd’hui.
De notre correspondant à Buenos Aires
«Evita vive!» (Evita est vivante): dans les années soixante, c’était l’un des graffitis que l’on trouvait le plus souvent sur les murs de Buenos Aires quand les syndicalistes ouvriers protestaient contre les gouvernements, militaires ou soutenus par les militaires, qui avaient proscrit le parti justicialiste (péroniste), après le putsch qui avait mis un terme au second mandat du général Juan Domingo Perón, en 1955. Ces activistes se réclamaient de la Madone des pauvres, Eva Duarte de Perón, compagne puis épouse du Général, décédée un 26 juillet 1952, à seulement 32 ans et en pleine gloire. Pleurée par des millions d’Argentins pendant plusieurs jours, elle avait eu droit à des funérailles grandioses et émouvantes, où le faste officiel le disputait à la ferveur populaire, comme on en a peut-être jamais vu depuis dans le monde entier, sinon pour Lady Di.
«Evita vive!»: dans les années soixante-dix, c’était l’un des slogans les plus entendus, lors des meetings organisés par les Montoneros et autres mouvements d’extrême gauche Place de Mai, face à la Casa rosada, ce palais présidentiel au balcon duquel le couple Perón était apparu tant de fois, vingt ans plus tôt, pour saluer la foule: puisque le peuple était péroniste, les gauchistes avaient décidé de rejoindre le péronisme. Formés d’intellectuels, d’étudiants et, plus généralement, de jeunes des classes moyennes urbaines, ils dénonçaient la démocratie «bourgeoise» et entendaient construire une Argentine socialiste les armes à la main. Mais eux aussi se réclamaient d’Eva Duarte de Perón, militante et pasionaria abhorrée de l’oligarchie, toujours prête à combattre les riches et les puissants.
Une personnalité qui réunit les Argentins
Par la suite, en partie en réaction contre ces deux courants-là, le péronisme syndical dit «combatif» et la guérilla urbaine prétendument péroniste, l’Argentine connut, entre 1976 et 1983, la dictature la plus terrible de son histoire. Ce fut le temps des disparus: parmi eux, beaucoup de ceux qui se réclamaient d’Evita. Est-ce pour cela qu’au retour de la démocratie, quand le candidat du parti radical, Raúl Alfonsín, s’imposa face au représentant justicialiste, on entendit peu parler d’elle ? Eva Perón n’était plus une référence. Il est vrai qu’entre-temps, et comme partout ou presque, les syndicats avaient perdu de leur influence et la jeunesse avait abandonné la révolution pour le rock. Quant au parti censé recueillir l’héritage péroniste, il s’était transformé en une formation politique presque comme les autres, sans lien avec ses deux figures historiques, Juan Domingo et Eva Perón.
Succédant à Alfonsín en 1989, le président Carlos Menem, qui sera réélu en 1995, illustre on ne peut mieux cet aggiornamento. De fait, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, Evita semble définitivement condamnée, en Argentine, aux seuls livres d’histoire. Alors même que, paradoxalement, le mythe fait le tour du monde, avec un opéra dont il restera une chanson inoubliable («Don’t cry for me Argentina») et une reprise cinématographique quelque peu caricaturale et très hollywoodienne, mais où Madonna réussit à faire passer un message de vérité dans une interprétation d’Evita pleine de sensibilité.
Et pourtant, ce 26 juillet 2002, cinquantième anniversaire de la mort d’Evita, on ne peut qu’être surpris par la quantité et la qualité des manifestations organisées pour lui rendre hommage ou mieux la faire connaître auprès des jeunes générations: à Buenos Aires et dans tout le pays, expositions, ouvrages, éditions spéciales et témoignages saluent sa mémoire. Ni madone, ni pasionaria, l’Evita qu’on salue est d’abord la femme à la beauté si particulière, avec son éternel chignon et une élégance exceptionnelle, en simple tailleur ou portant des créations des plus grands couturiers. C’est aussi l’épouse aimante qui contribua d’une façon décisive à l’ascension de Juan Domingo Perón, lui apportant en particulier la confiance des plus humbles. C’est encore le dirigeant d’exception – la dirigeante dirait-on aujourd’hui – , première dans son siècle, et qui exerça un pouvoir sans pareil depuis la reine Victoria, sans autre titre officiel que présidente de sa fondation. C’est également la féministe, qui obtint le droit de vote pour ses concitoyennes avant beaucoup d’Européennes et incita les Argentines à se faire entendre en s’organisant par elles-mêmes. C’est, enfin, la personnalité publique qui, par-delà ses erreurs, sut rester fidèle à ses origines et ses engagements.
En ces temps de crise où les politiciens sont si contestés, Eva Perón, hier personnalité controversée, semble unir les Argentins. Oui, cinquante ans après sa mort, Evita vit encore.
«Evita vive!» (Evita est vivante): dans les années soixante, c’était l’un des graffitis que l’on trouvait le plus souvent sur les murs de Buenos Aires quand les syndicalistes ouvriers protestaient contre les gouvernements, militaires ou soutenus par les militaires, qui avaient proscrit le parti justicialiste (péroniste), après le putsch qui avait mis un terme au second mandat du général Juan Domingo Perón, en 1955. Ces activistes se réclamaient de la Madone des pauvres, Eva Duarte de Perón, compagne puis épouse du Général, décédée un 26 juillet 1952, à seulement 32 ans et en pleine gloire. Pleurée par des millions d’Argentins pendant plusieurs jours, elle avait eu droit à des funérailles grandioses et émouvantes, où le faste officiel le disputait à la ferveur populaire, comme on en a peut-être jamais vu depuis dans le monde entier, sinon pour Lady Di.
«Evita vive!»: dans les années soixante-dix, c’était l’un des slogans les plus entendus, lors des meetings organisés par les Montoneros et autres mouvements d’extrême gauche Place de Mai, face à la Casa rosada, ce palais présidentiel au balcon duquel le couple Perón était apparu tant de fois, vingt ans plus tôt, pour saluer la foule: puisque le peuple était péroniste, les gauchistes avaient décidé de rejoindre le péronisme. Formés d’intellectuels, d’étudiants et, plus généralement, de jeunes des classes moyennes urbaines, ils dénonçaient la démocratie «bourgeoise» et entendaient construire une Argentine socialiste les armes à la main. Mais eux aussi se réclamaient d’Eva Duarte de Perón, militante et pasionaria abhorrée de l’oligarchie, toujours prête à combattre les riches et les puissants.
Une personnalité qui réunit les Argentins
Par la suite, en partie en réaction contre ces deux courants-là, le péronisme syndical dit «combatif» et la guérilla urbaine prétendument péroniste, l’Argentine connut, entre 1976 et 1983, la dictature la plus terrible de son histoire. Ce fut le temps des disparus: parmi eux, beaucoup de ceux qui se réclamaient d’Evita. Est-ce pour cela qu’au retour de la démocratie, quand le candidat du parti radical, Raúl Alfonsín, s’imposa face au représentant justicialiste, on entendit peu parler d’elle ? Eva Perón n’était plus une référence. Il est vrai qu’entre-temps, et comme partout ou presque, les syndicats avaient perdu de leur influence et la jeunesse avait abandonné la révolution pour le rock. Quant au parti censé recueillir l’héritage péroniste, il s’était transformé en une formation politique presque comme les autres, sans lien avec ses deux figures historiques, Juan Domingo et Eva Perón.
Succédant à Alfonsín en 1989, le président Carlos Menem, qui sera réélu en 1995, illustre on ne peut mieux cet aggiornamento. De fait, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, Evita semble définitivement condamnée, en Argentine, aux seuls livres d’histoire. Alors même que, paradoxalement, le mythe fait le tour du monde, avec un opéra dont il restera une chanson inoubliable («Don’t cry for me Argentina») et une reprise cinématographique quelque peu caricaturale et très hollywoodienne, mais où Madonna réussit à faire passer un message de vérité dans une interprétation d’Evita pleine de sensibilité.
Et pourtant, ce 26 juillet 2002, cinquantième anniversaire de la mort d’Evita, on ne peut qu’être surpris par la quantité et la qualité des manifestations organisées pour lui rendre hommage ou mieux la faire connaître auprès des jeunes générations: à Buenos Aires et dans tout le pays, expositions, ouvrages, éditions spéciales et témoignages saluent sa mémoire. Ni madone, ni pasionaria, l’Evita qu’on salue est d’abord la femme à la beauté si particulière, avec son éternel chignon et une élégance exceptionnelle, en simple tailleur ou portant des créations des plus grands couturiers. C’est aussi l’épouse aimante qui contribua d’une façon décisive à l’ascension de Juan Domingo Perón, lui apportant en particulier la confiance des plus humbles. C’est encore le dirigeant d’exception – la dirigeante dirait-on aujourd’hui – , première dans son siècle, et qui exerça un pouvoir sans pareil depuis la reine Victoria, sans autre titre officiel que présidente de sa fondation. C’est également la féministe, qui obtint le droit de vote pour ses concitoyennes avant beaucoup d’Européennes et incita les Argentines à se faire entendre en s’organisant par elles-mêmes. C’est, enfin, la personnalité publique qui, par-delà ses erreurs, sut rester fidèle à ses origines et ses engagements.
En ces temps de crise où les politiciens sont si contestés, Eva Perón, hier personnalité controversée, semble unir les Argentins. Oui, cinquante ans après sa mort, Evita vit encore.
par Jean-Louis Buchet
Article publié le 26/07/2002