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Sénégal

La loi qui fait désordre

Abdoulaye Wade, le président sénégalais, après avoir grâcié les présumés assassins du magistrat Babacar Sèye, va-t-il promulguer une nouvelle loi d'amnistie?(Photo : AFP)
Abdoulaye Wade, le président sénégalais, après avoir grâcié les présumés assassins du magistrat Babacar Sèye, va-t-il promulguer une nouvelle loi d'amnistie?
(Photo : AFP)
L’Assemblée nationale a adopté, le 7 janvier, une loi d’amnistie des infractions commises depuis le 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004. Les infractions criminelles ou correctionnelles, commises pendant cette période au Sénégal ou à l’étranger, en relations avec les différentes consultations électorales ou ayant des motivations politiques, sont toutes jetées aux oubliettes. Cette loi, loin d’apaiser le jeu politique au Sénégal, alimente une vive polémique.

L’Assemblée nationale sénégalaise a adopté une loi d’amnistie dont les termes ont suscité une très grande indignation de l’opposition et des organisations de défense des droits de l’homme. Cette loi proposée par Ibrahima Isidore Ezzan, député du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) a été adopté par 70 voix pour, 27 contre et une abstention. Le vice-président de l’assemblée nationale, Iba Der Thiam, se serait abstenu « pour des raisons personnelles ». Avant l’examen de cette loi par les parlementaires de nombreuses personnalités de la société civile ont tenté en vain d’organiser des manifestations de condamnation de cette proposition de loi. Mais le député auteur de la loi a soutenu que la majorité parlementaire et lui avaient le souci d’apaiser le débat politique au Sénégal et d’éviter « l’exploitation politicienne de certaines affaires ». 

« Cette loi d’amnistie n’est pas faite pour apaiser le peuple sénégalais, mais pour blanchir des auteurs de crimes non encore élucidés », déplore Abdoulaye badou de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Pour Khalifa Ababacar Sall, du Parti socialiste (PS), cette loi « garantit l’impunité à des voyous et à des bandits ». Cet aspect que sous-tend la loi est aussi dénoncé par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho) qui souligne son indignation sans limite. Même son de cloche auprès de la Fédération internationale des ligues droits de l’Homme (FIDH) qui considère cette loi comme « un véritable déni de justice » qui interdit aux victimes « un recours effectif devant les autorités judiciaires ». C’est dans cet esprit que Khalilou Sèye, fils de Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel assassiné en mai 1993, au nom de sa famille, a demandé au président de la République Abdoulaye Wade de ne pas promulguer cette loi.

Les crimes politiques amnistiés

La loi votée le 7 janvier prévoit une amnistie de « toutes les infractions qu’elles soient correctionnelles ou criminelles » commises au Sénégal ou à l’étranger, en relation avec les élections générales et locales organisées entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 2004 ou « ayant des motivations politiques, que leurs auteurs aient été jugés définitivement ou non ». Pour tous les opposants à cette loi, elle représente une prime à l’impunité que renforcent de nombreuses dispositions du texte qui prévoient aussi l’amnistie  de « toutes les infractions qu’elles soient correctionnelles ou criminelles (...) en relation avec le décès de Babacar Sèye, magistrat au Conseil constitutionnel, que leurs auteurs aient été jugés définitivement ou non ».

Le 15 mai 1993, alors que le Conseil constitutionnel s’apprêtait à donner les résultats des élections législatives, son vice-président, Babacar Sèye a été abattu de plusieurs par des hommes armés en plein Dakar. Abdoulaye Wade, alors chef de file de l’opposition avait été arrêté avec de nombreux autres partisans avant de bénéficier d’un non-lieu. En revanche, en 1994, Amadou Clédor Sène, Assane Diop, arrêtés et jugés dans le cadre de cette affaire sont considérés comme les assassins du magistrat et ont écopé d’une peine de 20 ans de prison et de travaux forcés. Un troisième accusé, Pape Ibrahima Diakhaté a été condamné à une peine de 18 ans de prison. En avril 2000, le pouvoir change de main au Sénégal, Abdoulaye Wade devient président de la République et deux ans plus tard accorde une grâce aux condamnés. Ils retrouvent la liberté en février 2002.

Mais les héritiers du magistrat, toujours en quête des mobiles et des commanditaires de l’assassinat, ne sauront jamais la vérité si la loi est promulguée par le président de la République. Une coalition d’avocats agissant au nom des parlementaires de l’opposition a déposé un recours pour inconstitutionnalité de cette loi auprès de la Cour constitutionnelle. Ils rappellent également que cette loi est contraire à la charte de l’Union africaine qui précise le « respect du caractère sacro-saint de la vie humaine » et qui rejette et condamne « les assassinas politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives ». Une coalition de la société civile envisage de mener une campagne nationale et internationale de pétition pour l’abrogation de cette loi. Elle étudie également le lancement d’un site Internet pour condamner cette dérive de la politique au Sénégal.


par Didier  Samson

Article publié le 14/01/2005 Dernière mise à jour le 14/01/2005 à 18:05 TU