Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Elections irakiennes

Kirkouk au cœur de toutes les convoitises

La ville de Kirkouk est recouverte d'un «voile noir» après l'explosion d'un oléoduc attaqué par des insurgés.(Photo: AFP)
La ville de Kirkouk est recouverte d'un «voile noir» après l'explosion d'un oléoduc attaqué par des insurgés.
(Photo: AFP)
Si l’éclatement tant redouté de la mosaïque irakienne n’a pas eu lieu lors de la chute du régime de Saddam Hussein, les tensions entre les différentes communautés, qu’elles soient ethniques où religieuses, sont loin d’être apaisées. La ville pétrolière de Kirkouk, au nord du pays, est ainsi, depuis quelques mois, un foyer d’instabilités qui inquiètent particulièrement l’armée américaine en cette veille d’élections. Elle redoute en effet plus que tout des affrontements entre Kurdes, Arabes et Turcomans qui ne manqueraient pas de conduire à un embrasement du nord de l’Irak.

Le régime baasiste avait très tôt compris l’enjeu stratégique que représente une ville comme Kirkouk. Dès le début des années 70, il avait donc entrepris une politique d’arabisation forcée de cette riche cité pétrolière et multiethnique, jetant hors de leur foyer des dizaines de milliers de Kurdes. Aujourd’hui cette minorité, qui a goûté à l’autonomie –depuis la répression en 1991 du soulèvement kurde qui a suivi l’invasion du Koweït, cette communauté s’autogère–, compte bien reprendre ses droits sur la ville. Des droits que revendiquent aussi les Arabes, qui représentent désormais 45% des quelque 1,2 million d’habitants de la région administrative de Kirkouk, mais aussi les Turcomans qui avec les chrétiens représentent 10% de cette population. Dès la chute de Saddam Hussein, les Kurdes ont ouvertement réclamé le rattachement de la cité aux provinces qu’ils contrôlent plus au nord. Mais soucieux d’éviter un embrasement de la région, le gouvernement intérimaire irakien a prôné une approche plus administrative à travers notamment le travail de commissions chargées de vérifier les plaintes des Kurdes expropriés par l’ancien régime.

Mais la perspective des élections du 30 janvier –qui en plus de la désignation d’une assemblée constituante doivent également permettre le renouvellement des élus des conseils provinciaux du pays– a bouleversé le fragile équilibre qui prévalait jusqu’à présent à Kirkouk. Pour éviter le boycottage par les Kurdes du scrutin régional dans la province de Taamim, dont la cité pétrolière est le chef-lieu, le gouvernement d’Iyad Allaoui a en effet autorisé quelque 100 000 Kurdes originaires de la ville et déportés par le régime baasiste à y voter. Cette augmentation conséquente du nombre d’électeurs kurdes devrait assurer à cette communauté une solide majorité au Conseil de la province qui se fera nécessairement au détriment des autres minorités. L’actuel Conseil compte en effet quinze Kurdes, onze Arabes, neuf Turcomans et sept chrétiens. Et grâce au jeu des alliances, un équilibre fragile a jusqu’à présent régné dans la région de Taamim. Une redistribution des cartes pourrait donc sérieusement remettre en question ce calme relatif car si elles sont pour le moment contenues, les rivalités ethniques risquent de dégénérer en violences à plus grande échelle. 

Boycott des formations arabes 

Si les Kurdes ont en effet salué la décision du gouvernement Allaoui –après le boycott par les sunnites des élections, il était difficile de concevoir une absence de cette communauté à un scrutin même régional– les formations arabes ont en revanche rejeté l’accord conclu mi-janvier sur le vote dans la province de Taamim. Le Front unifié arabe, qui regroupe des partis sunnites et chiites, a en effet annoncé en début de semaine qu’il ne participerait pas à l’élection du nouveau Conseil provincial. «Nous avons pris la décision de nous retirer car la commission électorale a autorisé les Kurdes déplacés à voter en dépit des tensions communautaires qui existent dans certains quartiers de Kirkouk», a fait valoir le secrétaire général de ce mouvement, cheikh Wasfi al-Assi. Les Turcomans ont pour leur part saisi la commission électorale mais aussi les Nations unies pour obtenir un retour au statu quo qui prévalait jusqu’à la signature de cet accord. «C’est la seule façon de permettre des élections justes qui ne favoriseront pas la partie kurde aux dépens des Turcomans et des Arabes», a insisté Farouk Abdallah Abdou Raham du Front turcoman irakien, un mouvement qui pour le moment ne s’est pas encore retiré de la course électorale. Ces exigences ne semblent toutefois pas émouvoir les Kurdes qui n’ont visiblement pas l’intention de céder quoique ce soit sur Kirkouk.

La situation dans cette riche cité pétrolière, située à 250 km de Bagdad, pourrait donc bien être l’un des dossiers que devra en priorité traiter le nouvel exécutif issue des élections du 30 janvier.  Elle représente déjà un casse-tête pour les services de renseignement militaire américains qui ne cachent plus leur préoccupation face aux tensions qui la secouent. Sept Irakiens ont encore été tués et huit autres blessés dans deux attentats suicide à la voiture piégée perpétrés simultanément mercredi devant un commissariat des environs de la ville. «Kirkouk est l’un de nos plus graves soucis», a ainsi récemment confié un officier américain. «Si les Kurdes gagnent la ville, nous nous attendons à une percée de la Ligne verte –‘frontière’ qui sépare la province de Taamim de la région semi-autonome kurde au nord–, tandis qu’en cas de victoire arabe, des violences entre Kurdes et Arabes pourraient se déclencher», a-t-il ajouté.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 26/01/2005 Dernière mise à jour le 26/01/2005 à 18:01 TU