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Elections irakiennes

Début du scrutin irakien pour les expatriés

Yusun Atici vote dans un bureau installé dans le quartier de Fatih, sur la rive européenne d'Istanbul.(Photo: Jérôme Bastion/RFI)
Yusun Atici vote dans un bureau installé dans le quartier de Fatih, sur la rive européenne d'Istanbul.
(Photo: Jérôme Bastion/RFI)
La Turquie est, avec l'Australie, la Jordanie et les Emirat Arabes Unis, l'un des pays où les Irakiens expatriés ont commencé à voter, vendredi, pour élire une Assemblée nationale constituante. Le scrutin se poursuivra samedi dans une dizaine d'autre pays du monde, avant de s'ouvrir dimanche en Irak, où le chef terroriste Abou Moussab el-Zarqaouii a à nouveau menacé de représailles les électeurs qui se rendraient aux urnes.

De notre correspondant à Istanbul

«Ils ne posent pas beaucoup de questions», raconte avec une pointe de regret Seval Yolcu, volontaire du bureau de vote n°1 installé dans une école du quartier de Fatih à Istanbul. Irakienne installée en Turquie depuis des années, elle a reçu neuf jours de formation par l'Organisation des migrations internationales pour aider à organiser un scrutin «démocratique» et «libre», une consultation historique mais qui ne suscite ni passion ni espoir dans la communauté irakienne de Turquie. C'est vrai, dit-elle, «ils n'ont pas l'habitude de voir autant de partis, mais ils savent déjà à qui ils vont donner leur voix». Elle-même avoue ne connaître qu'une infime partie des forces en présence, mais son rôle se limite de toutes façons à communiquer le fascicule présentant les 111 formations candidates, et expliquer comment exprimer son choix sur le grand bulletin à glisser dans l'urne. Elle sourit: «Certains me demandent où est le parti Baas, je leur réponds qu'ils n'ont qu'à chercher dans la liste». Avec la chute du régime de Saddam Hussein, la disparition du parti Baas au pouvoir a ouvert la voie à un foisonnement de partis, mais l'éclatement du pays incite les électeurs à se rassembler derrière la défense des intérêts de leur communauté respective.

Arrivé en Turquie il y a trois ans et demi, Muhamed Walid Hamid, 23 ans, s'attendait à trouver «quatre ou cinq» partis en compétition; il est donc surpris du nombre de formations candidates, mais il savait de toutes façons qui il allait choisir. D'ethnie turkmène, originaire de la région de Bakouba, il explique être «venu voter pour faire connaître l'existence» de sa communauté, qui se dit victime d'un nettoyage ethnique par les Kurdes. «Difficile» pour lui en tous cas de prévoir les suites à cette élection; seule chose est sûre: «Il faut que chacun désigne le Premier ministre de son choix». Mais rien ne lui permet d'envisager un retour prochain dans son pays, où sa famille votera dimanche.

«Je ne ressens rien de spécial en votant aujourd'hui», même si c'est la première fois, affirme pour sa part Hüsun Atici, installée en Turquie depuis «longtemps». Pire: elle n'attend «rien de cette élection» et prévoit même «des jours encore plus dangereux». Un scepticisme qui coïncide exactement avec les craintes exprimées par le gouvernement turc quant à un bouleversement des fragiles équilibres démographiques en Irak, principalement du nord. «Tout ce qui se passe en ce moment vise à anéantir les Turkmènes», martèle Hüsun. «Kirkouk était un berceau turc», rappelle-t-elle, se souvenant que sa belle-mère est morte récemment «sans parler un mot d'arabe ou de kurde». Mais elle prévient, au diapason des dirigeants turcs, que «ça ne se passera pas comme ça» si les droits des Turkmènes sont bafoués.

Au lendemain d'une mise en garde musclée du chef d'état-major adjoint Ilker Basbug, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a réitéré jeudi ses inquiétudes quant à la situation à Kirkouk, grande ville du nord où les factions Kurdes irakiennes ont repris pied après la chute de Saddam Hussein -et dont elles ont promis de faire un jour leur «capitale» d'un Kurdistan indépendant. Ankara défend farouchement les intérêts de la population turkmène, et prévient surtout qu'elle s'opposera à la création d'un Etat kurde. «Ces élections ne sont pas démocratiques», explique M. Erdogan, car «la non participation des formations sunnites aux scrutin va affecter le résultat de la consultation» en renforçant la représentation des Kurdes. «C'est un signe négatif pour l'avenir de l'Irak» et «les nouvelles de Kirkouk ne sont pas bonnes», souligne le chef du gouvernement turc. Vendredi encore, le ministère turc des Affaires étrangères appelait «tous les citoyens irakiens à participer au scrutin de la manière la plus large possible» pour prévenir une supériorité des formations kurdes.

Sans croire au miracle, la petite communauté irakienne résidant légalement en Turquie -condition sine qua non pour pouvoir voter- espère avant tout le retour à la paix, la fin des violences. 4 187 électeurs irakiens se sont inscrits sur les listes électorales en Turquie, nul doute qu'ils donneront massivement leurs voix pour le Front turkmène irakien (ITF) puisque «tout le monde ici est turkmène ou parle turkmène», reconnait Muhamed. Mümtaz Daoud, 40 ans, est arrivé de Mossoul il y a trois mois à peine, avec sa femme et ses 5 enfants. Il a fui non pour des raisons matérielles mais pour sauver sa vie et celle de sa famille, car «les gens se font tuer dans les rues, le plus souvent par l'explosion de voitures piégées», raconte-t-il. Traducteur embauché pour l'organisation du scrutin, il est tenu à l'obligation de réserve, mais montre la même perplexité quant au futur de son pays. «Je suis fier de voter librement pour la première fois», raconte-t-il, mais il est bien incapable de dire de quel futur accoucheront les urnes irakiennes.


par Jérôme  Bastion

Article publié le 29/01/2005 Dernière mise à jour le 31/01/2005 à 08:12 TU