Elections irakiennes
Premières heures du vote entachées de sang
(Photo: AFP)
Pour aller voter en ce «jour historique», il faut braver le feu: il n’aura pas fallu attendre la fin de la matinée dimanche pour qu’un certain nombre de villes soient ensanglantées. Comme l’avait promis la guérilla islamiste, les attaques s’intensifient, et c’est sous un déluge de feu et de terreur que les plus motivés prennent le risque de se rendre dans les bureaux de vote. Bagdad enregistre dimanche matin neuf attentats suicide avec ceinture bourrée d’explosifs qui ont fait au moins vingt morts et plusieurs dizaines de blessés, le dernier en date dans la matinée étant un attentat suicide, qui a été commis devant la résidence du ministre de la Justice, Malek Dohane al-Hassan, tuant un garde et blessant quatre personnes. Ailleurs, des bureaux de vote à Bassorah, au sud de Bagdad, et à Mossoul ont été également exposés à des tirs de roquette et des attaques au mortier. La police irakienne signale plusieurs tirs nourris dans d’autres bureaux de vote sans être en mesure d’avancer un bilan précis.
Quand les bureaux ne sont pas désertés comme le sont les cinq bureaux de vote de Falloujah, ou détruits par des attaques au mortier, ils sont carrément fermés pour des raisons sécuritaires. Dans les villes sunnites, où les insurgés sont les plus actifs, les Irakiens ne se sont pas encore vraiment déplacés pour aller voter. «Je pense qu’en raison de la situation sécuritaire, il n’y aura pas d’élections dans la ville», a déclaré le chef de la localité de la ville sunnite de Samarra, Taha Hussein, déclaration confirmée par le témoignage d’un journaliste de l’AFP qui a indiqué que les rues de cette ville, située à 125 km au nord de Bagdad, étaient «vides», et que dans les bureaux de vote où il s’était rendu il n’y avait «même pas d’employés». Dans la localité de Kalaa, à 3 km à l’ouest de Samarra, les autorités ont fermé l’unique bureau de vote après qu’il a été visé par une attaque au mortier. Et Tikrit, fief du président déchu Saddam Hussein, est une ville fantôme : un journaliste de l’AFP a visité huit bureaux de vote où personne ne s’est présenté depuis l’ouverture du scrutin à 7 heures du matin : «seuls les employés et les policiers étaient présents alors que les hélicoptères américains survolaient la ville» située à 180 km au nord de Bagdad.
Il n’en demeure pas moins que le président intérimaire Ghazi al-Yaouar s’est affirmé «heureux et fier en cette matinée bénie», alors qu’il glissait les bulletins de vote dans les urnes, en habit traditionnel, avant de se faire remettre un drapeau irakien, blanc, noir, rouge et vert. Il a été la première personnalité politique à voter dans un bureau de vote spécialement aménagé dans la «zone verte», un périmètre hautement sécurisé du centre de Bagdad : «Je félicite tous les Irakiens pour ces élections libres et honnêtes, et leur demande de ne pas renoncer à leur droit. Je les appelle à voter pour l’Irak, et à élire l’Irak, a-t-il ajouté. Je suis votre frère, un fils de ce peuple (…) ne renoncez pas à vos droits et à vos devoirs».
«Vous ne devez pas manquer à votre devoir de citoyen et de musulman»
Le message est entendu: «Tous les musulmans doivent voter», clame Choukria Abbas, qui réside dans le sud du pays à Abou al-Khassib (60 000 habitants, dont 35% de sunnites), une ville où la population se pressait en grand nombre une heure près l’ouverture du scrutin dans les 17 bureaux de vote. La cité se trouve à une quinzaine de kilomètres de Bassorah, la seconde ville d’Irak à majorité chiite : «Ce jour est attendu par tout le peuple irakien. C’est la première fois qu’il peut voter comme ça. Tout se passe très bien et en douceur», selon les affirmations de Nasser Kassar Jaber, le directeur du bureau de vote. «Nous sommes très heureux aujourd’hui de choisir notre gouvernement, un gouvernement démocratique, avec un pluralisme de partis politiques, sans le Baas (ndlr : parti au pouvoir sous le régime de Saddam Hussein)», déclare un homme de 65 ans, Jawad Kadham qui ajoute: «Nous faisons cela pour le futur peuple irakien, pour le bien du peuple irakien».
L’appel à la mobilisation est ponctué ici et là de messages par haut-parleur. Ainsi, d’une mosquée, une voix appelle la population à se rendre aux urnes: «O citoyens, jeunes et vieux, femmes et hommes, vous devez vous rendre au bureau de vote, vous ne devez pas manquer à votre devoir de citoyen et de musulman». Très sensibilisée, la communauté kurde se réjouit de cette journée historique. Hommes et femmes se pressaient dimanche par centaines dès l’ouverture des bureaux de vote de Souleimaniyah, et le chef de la sécurité de la province, Dana Ahmad Majeed, a indiqué : «tout se passe calmement. Aucun incident n’a été rapporté. J’attends une participation de 90%», un score de participation qui s’annonce donc très contrasté par rapport à d’autres villes du pays qui vont forcément pâtir du climat de terreur.
Ouvertes depuis sept heures du matin dimanche, les premières élections multipartites depuis plus de cinquante ans sont un scrutin par listes à la proportionnelle intégrale avec une circonscription unique, au cours desquelles les Irakiens, âgés de 18 ans minimum, sont appelés à choisir une Assemblée nationale transitoire de 275 membres (bulletin turquoise), un Parlement de 111 sièges pour la région autonome kurde (bulletin rose) et les Conseils des 18 province (bulletin bleu). Les électeurs analphabètes ou mal voyants ont le droit de se faire aider par une seule personne à laquelle on demande de respecter le choix des électeurs, et une encre indélébile violette est utilisée pour empêcher un électeur de voter plus d’une fois. Le dépouillement sera dans les bureaux de vote pour éviter que les bulletins soient volés ou détruits pendant leur transport. Les assesseurs des différentes listes seront autorisés dans les bureaux de vote ainsi que les observateurs pour s’assurer du bon déroulement des élections. Les résultats définitifs seront annoncés dix jours après le scrutin.
par Dominique Raizon
Article publié le 30/01/2005 Dernière mise à jour le 31/01/2005 à 08:14 TU