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Philippines

Une guerre aux conséquences limitées à Jolo

L'armée philippine renforce ses troupes après les affrontements, ces derniers jours avec les rebelles du Front national de libération moro.(Photo: AFP)
L'armée philippine renforce ses troupes après les affrontements, ces derniers jours avec les rebelles du Front national de libération moro.
(Photo: AFP)
La reprise des combats entre l’armée philippine et des groupes musulmans sur l’île de Jolo ne menace pas le cessez-le-feu conclu entre Manille et le Front islamique de libération moro, le principal mouvement séparatiste de Mindanao.

De notre correspondant en Asie du Sud-Est

Les affrontements qui opposent l’armée philippine à des rebelles musulmans sur l’île de Jolo sont les plus violents des dernières années dans la région. Ces combats, qui ont déjà fait près de 130 morts, ont commencé en début de semaine avec l'attaque de postes militaires par des partisans de Nur Misuari, le fondateur du Front national de libération moro (Mnlf), un mouvement qui a lutté pour l’indépendance des musulmans de Mindanao, une région située au sud du très catholique archipel philippin, jusqu’à la conclusion d’un traité de paix en 1995. Nur Misuari fut alors nommé gouverneur de la région autonome musulmane du sud, une institution créée en échange du désarmement des troupes du Mnlf. Accusé de corruption, il a été limogé en 2000 puis emprisonné à Manille au terme d’une insurrection avortée. Ses derniers fidèles réclament aujourd’hui son transfert dans un centre pénitentiaire de Jolo, sa région d’origine. Ils ont reçu le soutien des combattants d’Abou Sayyaf, un groupe islamiste rendu célèbre par sa prise d’otage de touristes occidentaux en 2000. Mais cette organisation liée à al-Qaïda avait déjà subi de lourdes pertes lors d’une offensive menée conjointement par l’armée philippine et un millier de soldats américains en janvier 2002. Il est donc peu probable que les 200 insurgés, repliés dans la ville de Panamoa, puissent résister longtemps aux moyens militaires déployés par l’état-major de Manille qui a bombardé la zone à l'artillerie lourde dans la perspective d'un assaut. Sûr de sa force, le général Alberto Braganza, commandant pour le sud des Philippines, a lancé un ultimatum clair : «C'est la reddition ou rien». A Manille, le secrétaire aux Affaires étrangères Alberto Romulo a assuré que les affrontements de Jolo ne remettaient pas en cause les négociations prévues avec le Front islamique de libération moro (Milf) qui, avec ses 12 000 combattants, constitue le plus important groupe séparatiste musulman et le seul capable de menacer la présence philippine à Mindanao.

Le Milf maintient le cap de la paix

«Cette bataille ne nous concerne pas», confirme Ghazali Jaafar, le responsable des affaires politiques du Milf, «Nous comprenons la demande des partisans de Misuari mais nous n’en faisons pas un casus beli» poursuit l’homme depuis son quartier général, un centre communautaire islamique situé dans la grande banlieue de Cotabato (Mindanao-Centre). Il rappelle également que son mouvement a rompu depuis longtemps avec Abou Sayyaf. «Nous condamnons ses dérives mafieuses, son action n’a rien à voir le nationalisme moro et l’islam». Soucieux de respectabilité, le front islamique veut garder ses distances avec un groupe figurant sur la liste des organisations terroristes dressée par Washington. Car le Milf a conclu en juillet 2003 un cessez-le-feu avec le gouvernement philippin qui, contrairement aux précédents de 2000 et 2001, tient bon. Les séparatistes se sont repliés dans leurs camps, enfouis sous la jungle, contre lesquels l’armée philippine s’abstient désormais de lancer des offensives. Dans la région de Cotabato, où se sont concentrés l’essentiel des combats depuis une vingtaine d’années, le dispositif de sécurité a été allégé. Il n’y a plus de véhicule blindé aux barrages et les militaires évitent de patrouiller dans les quartiers musulmans.

Méthode des petits pas

Mais le fossé de méfiance reste profond entre les deux communautés et les négociations avancent difficilement. La politique de migration interne, initiée par Manille au début des années 1950 pour inverser le rapport démographique, a porté ses fruits. Les chrétiens sont majoritaires dans la partie Est de l’île et sont presque aussi nombreux que les musulmans dans le Centre et l’Ouest. La frustration des Moros est d’autant plus grande qu’ils ont été poussés en périphérie des terres arables qu’ils cultivaient depuis des temps immémoriaux. Toutes les terres non-enregistrées furent en effet considérées comme relevant du domaine public et distribuées aux nouveaux arrivants. «Personne n’a pu s’opposer pacifiquement, d’une part, parce que les tribunaux étaient aux ordres de la dictature Marcos, d’autre part, parce que les titres de propriétés n’existaient pas dans la tradition locale», explique Abou Sayyed Lingga, le directeur de l’Institut d’Etudes de la Nation Moro.

A cette dépossession s’ajoutent des discriminations. Les musulmans reçoivent cinq fois moins de subventions et d’aides publiques que les chrétiens. Au début des années 1990, le revenu moyen d’une famille moro était trois fois inférieur à celui d’une famille philippine. «Nous négocions mais nous ne nous laisserons pas piéger», prévient Ghazali Jaafar qui pointe l’échec du gouvernement autonome obtenu par le Mnlf en 1995. «Ses institutions n’ont jamais reçu les moyens de fonctionner. C’est une autonomie fantoche…». Le Milf a donc décidé d’adopter la méthode des petits pas en conditionnant la signature de chaque nouvel accord au respect du précédant. Et comme preuve de sa bonne volonté, il ne fait plus de l’indépendance un préalable indispensable à un règlement final. «Toutes les issues sont possibles à condition que Manille négocie sérieusement», conclut Jaafar.


par Jocelyn  Grange

Article publié le 13/02/2005 Dernière mise à jour le 13/02/2005 à 11:34 TU