Philippines
Une élection contestée
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Djakarta
L’élection présidentielle philippine a tenu toutes ses promesses de violences malgré les 23 000 soldats et policiers mobilisés. Au moins vingt personnes auraient été tuées dans des attaques au fusil, à la grenade ou à la bombe, portant à cent quatorze le nombre des victimes recensées depuis le début de la campagne électorale en décembre.
Emaillé d'incidents, le scrutin l’a aussi été d’irrégularités. Des journalistes ont dénoncés des achats de voix, des listes incomplètes et des urnes manquantes alors que des cas d'intimidation étaient signalés un peu partout dans l’archipel. Plusieurs partis d'opposition accusent également le gouvernement d’avoir manipulé les premiers résultats pour accréditer l'idée d'une victoire de la présidente sortante Gloria Arroyo. Celle-ci a immédiatement répliqué en appelant la population à respecter des élections qu’elle a qualifié de «globalement pacifiques, disciplinées et honnêtes». Une attitude plutôt logique dès lors que les premières estimations la donnent largement en tête.
Selon l'institut indépendant Social Weather Stations, elle l’emporterait avec 41% des voix sur son principal rival, l'acteur de cinéma Fernando Poe, qui n'obtiendrait que 32% des suffrages. L'étude confirme les derniers sondages effectués avant le scrutin qui créditaient la présidente soutenue par les milieux économiques et les classes moyennes d'une avance de 6 à 7 points sur son rival dont les principaux soutiens sont dans les classes populaires.
Retour à l’instabilité?
On ne sait pas encore si la fraude a été massive mais la crédibilité de la victoire probable de la présidente est sujette à caution avant même la proclamation des résultats définitifs, qui n’interviendra pas avant trois semaines. Or tout les analyses sont unanimes pour dire que le nouveau chef de l’État philippin aura besoin d’une forte légitimité pour éviter que le pays ne retombe dans l’instabilité des révoltes populaires et des coups de force militaires qui ponctuent la vie politique de l’archipel depuis la fin de la dictature Marcos en 1986.
Si sa victoire se confirme, Gloria Arroyo devra réussir ce qu’elle a échoué à faire jusqu’à présent: remettre sur la voie du développement un pays qui fait souvent figure d'«homme malade» de l'Asie. La dette publique approche les 90% du PIB, les systèmes éducatifs et de santé sont en lambeaux et les écarts de revenus demeurent criantsentre la moitié de la population qui vit avec moins de deux dollars par jour et une élite politico-affairiste rongée par la corruption et qui affiche sans vergogne un luxe tapageur. A l’incurie économique du gouvernement, s’ajoute son incapacité à régler, autrement que par la violence, la question des mouvements séparatistes musulmans actifs dans le sud de l’archipel.
La présidente est aussi critiquée pour son soutien sans faille à l’ancienne puissance coloniale américaine. Elle a soutenu la guerre en Irak en y envoyant un contingent militaire, contre la volonté de certains membres de parti, et l’opposition la tient directement responsable de la mort des deux philippins tués le mois dernier dans un attentat à Bagdad.
Consciente des difficultés qui l’attendent, Gloria Arroyo a d’ores et déjà annoncé qu’elle constituerait, en cas de victoire, un gouvernement d'unité nationale, incluant ses rivaux politiques, «dans le but de frayer la voie à une authentique réconciliation parmi les formations politiques en conflit dans le pays.». Mais il n’est pas sûr que son principal adversaire accepte la proposition. Car Fernando Poe est un ami personnel de l'ancien président Joseph Estrada qui doit être jugé pour corruption après avoir été poussé à la démission par des manifestations en janvier 2001. Estrada avait été remplacé à mi-mandat par Gloria Arroyo, sa vice-présidente, qu’il avait accusé d’avoir comploter pour provoquer sa chute. Il s’est juré depuis de la conduire à sa perte.
par Jocelyn Grange
Article publié le 11/05/2004 Dernière mise à jour le 11/05/2004 à 13:32 TU