Haïti
Le changement se fait attendre
(Photo : AFP)
Dans ce pays secoué par de multiples crises et coups d’Etat ces vingt dernières années, la publication d’un calendrier électoral fait figure de bonne nouvelle. Dévoilé samedi par les autorités haïtiennes, il prévoit la tenue d’élections législatives et présidentielles lors de deux tours fixés les 13 novembre et 18 décembre. Un scrutin municipal et local est aussi prévu le 9 octobre. Des échéances pour lesquelles un registre électoral permanent devrait établi, une première dans l’histoire de ce pays. Malheureusement, ces mesures qui vont dans le sens d’un retour à une vie politique démocratique s’accompagnent d’une annonce beaucoup moins encourageante pour l’avenir du pays. Il manque en effet plusieurs millions de dollars aux autorités haïtiennes pour pouvoir assurer le financement de ces élections générales dont le coût total minimum est estimé à 45 millions de dollars.
Cet exemple illustre la difficile situation que connaît ce pays sur le plan financier. L’aide économique massive annoncée lors d’une réunion organisée en juillet 2004 à Washington n’a été débloquée qu’au compte-gouttes et les caisses de l’Etat sont vides. «Environ 100 millions de dollars, à peine 10% de l’aide promise parc les bailleurs de fonds, sont arrivés. Nous voudrions un rythme de décaissement beaucoup plus actif», déclarait récemment au Monde le Chilien Juan Gabriel Valdes, qui dirige la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah). Et à ce rythme, le Premier ministre intérimaire Gérard Latortue ne s’attend qu’au déblocage de 200 ou 250 millions de dollars supplémentaires d’ici le début 2006, un chiffre très faible en comparaison de la somme d’1,4 milliard promise voilà six mois. «Il y a trop de lignes budgétaires pour des études et des consultants, au détriment des réalisations. C’est dans la nature des organisations internationales et c’est ce qu’il faudrait changer», regrettait Gérard Latortue dans une interview publiée le 10 février par Le Monde.
Cette lourdeur des institutions internationales alimente sur place une colère grandissante. Le départ forcé du président Aristide avait suscité un immense espoir au sein de la population qui souffre énormément. Plus de deux tiers des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et les conditions sanitaires désastreuses ont des conséquences dramatiques en terme de mortalité infantile. Or, les mois passent sans que la qualité de vie des habitants les plus humbles ne s’améliore. Et le mécontentement croissant exprimé dans les quartiers défavorisés pourrait bien être récupéré par les candidats proches d’Aristide lors des prochaines élections. Ce dernier vit exilé avec sa famille en Afrique du Sud, occupant un poste de chercheur honoraire dans une université de Pretoria. Un éloignement physique qui ne devrait pas l’empêcher d’avoir une influence sur le processus électoral en cours. Et il pourrait même se présenter à l’un des scrutins à venir, la commission d’enquête formée pour analyser les opérations financières de son gouvernement entre 2001 et 2004 n’ayant pas encore rendu ses conclusions.
Une impatience grandissanteA la détérioration de la situation économique s’ajoute une recrudescence de la violence au cours des derniers mois. Selon la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR), une ONG basée aux Etats-Unis, 403 personnes ont été tuées par balles à Port-au-Prince depuis le 30 septembre, date à laquelle des partisans armés de l’ex-président Aristide ont lancé «l’opération Bagdad» en vue de son retour au pouvoir. Les principales villes du pays sont en fait régulièrement le théâtre d’affrontements entre la police haïtienne et les gangs armés qui contrôlent de nombreux quartiers, certains vivant du trafic de drogue. Et face à ces groupes lourdement équipés, les effectifs de la police nationale haïtienne (PNH), qui doivent aussi gérer la rébellion d’ancien soldats, sont bien faibles.
Cette dernière compte pourtant sur le soutien des soldats de la Minustah, qui ont pris le relais à la fin du mois de mai de la force multinationale composée de soldats américains, français et canadiens. Les pays fournissant des effectifs militaires à la mission onusienne sont beaucoup plus nombreux, le Conseil de sécurité ayant approuvé l’envoi de plus de 8 000 hommes sur place. Placé sous le commandement du Brésil, le pays qui a apporté le plus de soldats, le contingent de l’Onu compte environ 6 700 hommes dont la mission est notamment de participer au désarmement des groupes illégaux. Le gouvernement haïtien, qui avait fixé au 15 septembre la restitution des armes détenues illégalement, n’a pas su faire respecter ce délai. Et cinq mois plus tard, les forces onusiennes expriment clairement leur désir de mettre un terme à cette situation. «La Minustah est prête à recourir à la force contre eux s’ils ne déposent pas les armes», a prévenu lundi Juan Gabriel Valdes.
Cet avertissement souligne l’impatience dont commencent à faire preuve certains acteurs de la crise haïtienne qui savent que ce pays a besoin de changements drastiques pour espérer entamer une nouvelle ère politique. Les appels en ce sens se multiplient, émanant par exemple de l’Union africaine qui veut «aider à créer les conditions dans lesquelles un nouveau gouvernement puisse être démocratiquement élu en Haïti» ou de l’ancien président haïtien Leslie Manigat, premier candidat déclaré au prochain scrutin présidentiel. «Il faut donner à ce pays une chance», a déclaré à Radio France Internationale cet homme renversé en 1988 par un coup d’Etat militaire. Conscient de la nécessité d’accélérer le processus, Gérard Latortue a d’ailleurs procédé à un remaniement ministériel au début du mois de février pour «re-dynamiser l’action de son gouvernement». Un changement fait, selon Gérard Latortue, en prévision des temps difficiles qui s’annoncent et destiné à éviter toute «cacophonie dans l’action gouvernementale».
par Olivier Bras
Article publié le 15/02/2005 Dernière mise à jour le 15/02/2005 à 17:46 TU