Cinéma
François Mitterrand, un promeneur solitaire
(Affiche : Pathé Distribution)
Le comédien Michel Bouquet (G) interprète le rôle du président socialiste François Mitterrand et Jalil Lespert (D) incarne un jeune journaliste, socialiste idéaliste et passionné. (Photo : Pathé Distribution) |
Au début du film le président organise une visite surprise pour le jeune journaliste à la cathédrale de Chartres, et invite celui-ci à caresser des gisants, tout en avouant son admiration pour ces transis «qui n’avaient pas peur d’afficher la mort». La dernière image du film s’arrête sur un carré de ciel gris zébré de quelques branches d’arbres, alors que le malade, dont la dernière heure est arrivée demande à ce que le journaliste sorte de la chambre où il est alité, et le laisse seul. L’homme, se sachant condamné, a choisi son lieu de repos, et exprimé le désir d’être enterré seul en haut du Mont Beuvray.
Entre les deux pôles du film prévaut «la couleur grise, celle de la France, belle, avec ses infinies nuances», la couleur vaut aussi pour une sorte de métaphore d’une vie qui s’éteint, et de la mort annoncée. Inéluctable, la faucheuse est même guettée sans angoisse aux détours des douleurs qui font vaciller l’homme, usé par la maladie: il se moque des médecines qui lui sont administrées, et dit préférer essayer de comprendre comment «la maladie exprime l’individualité retrouvée». Le personnage, qui a convoqué le journaliste en lui demandant expressément: «notez, notez tout», compte avec minutie le temps qui lui reste à vivre pour mener à terme le livre qu’ils sont en train d’écrire. Les jours passent, les semaines et les mois, au fil desquels celui qui se déclare être «le dernier grand président» exprime avec détachement ses obsessions de mort et d’espérances gelées.
«cinquante ans de vie politique, faite de réalité réelle et de réalité(s) rêvée(s)»
«Depuis quand avez-vous perdu vos illusions ?», demande le journaliste. Sans répondre précisément une date, le président souligne qu’il a traversé «cinquante ans de vie politique, faite de réalité réelle et de réalité(s) rêvée(s)». Mais, comme l’a souligné Robert Guédiguian lors de la présentation à la presse, «Un film est un film, ce n’est pas la vérité historique». A ce titre, le réalisateur a pris soin d’élaguer du livre de Georges-Marc Benamou, dont il s’est inspiré, les références trop précises tant à l’entourage politique du président, qu’aux anecdotes dont sa vie peut avoir fourmillé. Le film est une épure. Le Mitterrand-du-film ne donne pas de date précise, et affirme qu’il «ne faut pas avoir de passion pour l’événement mais [qu’il faut avoir la passion de] l’indifférence». De la même manière, Robert Guédiguian dresse un personnage énigmatique, cultivant les silences et les réponses en pointillé (ou les non-réponses esquivées), privilégiant sa sortie de scène -ici traitée comme une cérémonie des adieux dont le président se serait amusé. En résumé, comme l’a souligné Michel Bouquet : «Cela reste un Mitterrand d’acteur, pas d’historien. Un Mitterrand de fiction (…) La seule idée politique qu’il fallait faire passer, c’est sa fierté d’avoir amené en France la gauche à la présidence. C’est un don de monarque».
Pourtant, le jeune militant voudrait élucider quelques moments de la biographie de l’homme sujets à polémique du type qu’elles furent les positions politiques de Mitterrand sous le gouvernement de Vichy ? Ses liens avec l’affaire Bousquet (l’ancien secrétaire général de la police sous Vichy, qui fut assassiné en 1993) ? Le président s’esquive, se dit cerné par tous ceux qui tentent de «jouer au chat et à la souris mais qui ne l’attraperont pas parce qu’il les connaît trop bien»; «ils», sont ceux qui voudraient en faire un antisémite et un homme de droite. Homme de droite, il ne le renie pas: «Ils voudraient ma perte, je ne suis pas un juif intellectuel de gauche comme Léon Blum, et la droite n’aime pas qu’on la trahisse et je viens de chez eux»; mais antisémite, non: cette affirmation est un non-sens au regard de l’éducation religieuse reçue, rappelant sans cesse que la Vierge et l’enfant étaient juifs; le dire est également une contradiction avec ce qu’il a fait graver dans le marbre du monument aux morts, érigé en mémoire des Juifs victimes de la rafle du Veld’Hiv.
Robert Guédiguian explique comment il a choisi de camper le personnage tout en zones d’ombres: «Antoine voudrait que le maître soit pur, que la statue soit debout. Face à cela il y a un vieux qui dit ‘comme un vieux paysan’ je m’en fous, j’ai fait ce que j’ai fait, je vous emmerde. Parfois il le fait avec ironie (…) j’assume ça, j’assume ma vie. J’étais à droite, je viens de là. Il a de ce point de vue un côté un peu bravache. Libertaire et libertin». Le film véhicule le goût amer d’une fin de vie où passé, présent et futur se confondent en un seul temps, celui où les doutes demeurent quand s’approche la dernière heure, et où l’homme demande alors qu’on le laisse seul, serein et sans illusion.
par Dominique Raizon
Article publié le 17/02/2005 Dernière mise à jour le 17/02/2005 à 08:32 TU