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France

Écoutes téléphoniques : les leçons d’un procès

L'ancien directeur de cabinet du président de la République François Mitterrand, Gilles Ménage (G) au côté de son avocat Me Patrick Maisonneuve (2eD), et l'ancien chef de la cellule anti-terroriste de l'Elysée Christian Prouteau (D) au côté de son avocat Me Francis Szpiner, arrivent au palais de justice de Paris, le 26 janvier 2005, pour comparaître devant la 16e chambre correctionnelle.(Photo : AFP)
L'ancien directeur de cabinet du président de la République François Mitterrand, Gilles Ménage (G) au côté de son avocat Me Patrick Maisonneuve (2eD), et l'ancien chef de la cellule anti-terroriste de l'Elysée Christian Prouteau (D) au côté de son avocat Me Francis Szpiner, arrivent au palais de justice de Paris, le 26 janvier 2005, pour comparaître devant la 16e chambre correctionnelle.
(Photo : AFP)
Après trois mois d’audience, le procès des écoutes téléphoniques touche à sa fin. Entre dénégations et faux semblants, les débats auront permis d’établir quelques vérités sur l’histoire de la fameuse cellule anti-terroriste de l’Élysée.

A quoi servait la cellule anti-terroriste de l’Élysée ? Officiellement vouée à coordonner la lutte anti-terroriste, après l’attentat de la rue des Rosiers (neuf morts dans le mitraillage du restaurant Goldenberg, en août 1982), cette «mission» avait pour but de coordonner et d’améliorer le fonctionnement des grands services de l’État (DST, RG, DGSE). Le «contexte» –l’ancien directeur de cabinet Gilles Ménage n’a cessé d’y  revenir– explique le geste de François Mitterrand. Face à la menace terroriste, de plus en plus présente, le président de la République veut des résultats. C’est la face honorable de cette création. Côté pile, François Mitterrand se sent en danger… sa fille cachée, son cancer, sa paranoïa à l’égard de la presse, surtout la presse de gauche, qui commence à l’attaquer. Enfin, le président a été ébloui par l’énergie du commandant Christian Prouteau, le chef du GIGN (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale). Il lui donne carte blanche. Les «hommes du président» ont désormais le jeu en main.

Qui sont-ils ? L’ossature de la cellule est formée de soldats d’élite, Prouteau, son adjoint Paul Barril et les renforts du GIGN. Un autre gendarme, spécialiste de l’informatique, rejoint le groupe : Jean-Louis Esquivié. Un homme de la DST, Pierre-Yves Gilleron, quelques transfuges des Renseignements Généraux et un agent de la DGSE, Jean-Louis Chanas, absent du banc des prévenus. Evidemment, cette petite équipe n’est pas la bienvenue sur le terrain de la lutte anti-terroriste, car elle constitue un désaveu flagrant à l’action des services. Tous ces «spécialistes» veulent donc prouver à leur corps d’origine la nécessité d’une «cellule», à l’Élysée même. Et le malentendu s’engage, dès le départ, avec la renversante perquisition des Irlandais de Vincennes : pour asseoir son joli coup de filet, Paul Barril ne trouve rien de mieux que d’ajouter quelques armes chez les trois activistes.

La suite est désormais connue. Pour couvrir ses propres turpitudes, la cellule va s’engager sur la délicate voie des coups tordus. Or, lorsque l’on ne possède ni effectif, ni documentation, ni habilitation de police judiciaire, que reste-t-il ? La technique d’une part et la formidable impunité que procure auprès des services administratifs de l’État un ordre présidentiel.

«C’était le président…»

À commencer par la procédure des écoutes téléphoniques, allègrement contournée dès les premiers branchements. Normalement, toute demande est signée par un chef de service, puis contre-signée par une autorité politique qui exerce un contrôle démocratique. Contrairement aux écoutes judiciaires, ces écoutes dites administratives n’ont, à l’époque, pas de fondement légal. D’où l’importance de ce contrôle «politique» qui exclut, a priori, l’écoute des professions protégées (syndicaliste, avocat, journaliste, médecin…). Or, ce contrôle ne va jamais vraiment fonctionner. A qui la faute ? «C’était le président… », répliquent à tour de rôle les anciens locataires de Matignon et leur directeur de cabinet. A un moment où la protection du droit s’avérait nécessaire, tous les contre-pouvoirs semblent avoir abdiquer leurs prérogatives aux sommets de l’État.

L’affaire des Irlandais de Vincennes sera donc le détonateur des dérapages de la cellule, parce qu’il faut à tout prix sauver la face des «hommes du président», pris en flagrant délit de montage judiciaire. A partir du moment où les opérationnels de l’Élysée  commettent une erreur, toute l’institution est menacée. Prouteau et ses hommes vont user et abuser de ce raisonnement, quitte à accomplir l’inavouable et l’inutile.

L’inavouable, ce sont ces milliers de fiches d’écoutes souvent vide de sens et d’information, avec un acharnement particulier sur ceux que François Mitterrand déteste, le journaliste «scélérat» Edwy Plenel et l’excentrique écrivain Jean-Edern Hallier. L’inutile, c’est le manque de résultat criant de la cellule en matière de lutte anti-terroriste : en 1986, cohabitation oblige, elle se replie derrière les murs du Palais et renonce à son contingent d’écoutes illégales (20 lignes prélevées sur le stock de la DGSE). Elle survit à la dualité de l’exécutif, mais pour peu de temps : elle est dissoute en 1991. Un point fait l’unanimité parmi les spécialistes du terrorisme interrogés par le tribunal correctionnel de Paris, le manque de résultats et d’analyses pertinentes sur les attentats des années 80.

Comme l’affaire du Watergate, le scandale des écoutes montre donc à quel point les contrôles hiérarchiques et administratifs sont nécessaires dès lors qu’il s’agit de protéger l’exécutif du pouvoir (sans limites ?) qui l’anime. Mais le parallèle s’arrête là. En France, ni la presse, ni les parlementaires, ni les juges n’ont été en mesure de mettre en cause les politiques. Comme si l’avertissement lancé en 1965, dans le Coup d’État permanent, restait valable quarante ans plus tard. En dénonçant le cabinet noir du général de Gaulle, François Mitterrand constatait : «Ce qui sort en surface est peu de chose au regard de ce qui reste caché


par David  Servenay

Article publié le 16/02/2005 Dernière mise à jour le 15/01/2006 à 15:32 TU