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Terre humaine a cinquante ans et pas une ride

Couverture de <EM>Soleil hopi </EM>: «L'extraordinaire mémoire d'un indien hopi, qui est si longue qu'il se souvient du temps où il était dans le ventre de sa mère...». Editions Plon.(Photo : DR/Editions PLon)
Couverture de Soleil hopi : «L'extraordinaire mémoire d'un indien hopi, qui est si longue qu'il se souvient du temps où il était dans le ventre de sa mère...». Editions Plon.
(Photo : DR/Editions PLon)
La Bibliothèque nationale de France (BNF) rend hommage à Terre humaine (éditions Plon) une collection qui a surgi en 1951 dans le paysage intellectuel français avec un titre fondateur Les derniers rois de Thulé, et qui s’est installée ensuite à la croisée des sciences humaines et de la littérature. Fondée, nourrie et façonnée par les choix d’un anthropo-géographe, chercheur et homme d’action, Jean Malaurie, la collection est aujourd’hui forte de quatre-vingt-cinq titres vendus à onze millions d’exemplaires. Elle fête cinquante années consacrées au témoignage en faveur des peuples et des sociétés en voie de disparition, de paroles données aux démunis, et aux exclus : c’est une véritable institution dans le monde de l’édition française.

L’exposition s’achève sur ce qui aurait tout aussi bien pu constituer une entrée en matière du sujet, une reconstitution de l’Allée des baleines, la «Delphes de l’Arctique». Cette allée, composée de deux alignements de mâchoires de cétacés tournées vers le ciel sur cinq mètres de hauteur, de groupes de gigantesques crânes renversés et d’un sanctuaire de pierres, est un ancien haut lieu sacré des Inuits, vestige d’une culture chamanique vouée à l’oubli.

Cette reconstitution est symbolique et renvoie à la cause défendue toute sa vie par Jean Malaurie, à sa lutte contre le mépris des minorités écrasées par la mondialisation. C’est également un écho aux expéditions solitaires que le chercheur scientifique mena dans le Grand Nord, dont il fit sa terre d’adoption. Jean Malaurie fut le témoin de la brutale implantation d’une gigantesque base nucléaire sur le site de Thulé où vivaient trois cent cinquante Esquimaux qui durent alors quitter la terre de leurs ancêtres. Révolté, engagé, il entreprenait dès lors de secouer le monde et d’éveiller ou réveiller les consciences en invitant les hommes à s’interroger sur leur passé et leur devenir à travers des récits. Tous les ouvrages édités dans la collection Terre humaine ont un dénominateur commun, et posent le questionnement fondamental de l’homme dans sa relation à ses semblables et à son milieu.

La vie inuit. Jean Malaurie, mai 1951.
(Photo : Michel Urtado)
Le parcours de l’exposition est organisé en quatre étapes. La première est consacrée à la naissance de la collection, et aux premiers grands titres fondateurs comme par exemple Les Derniers rois de Thulé (Jean Malaurie) qui décrit la civilisation Inuit, Tristes tropiques (Claude Lévi-Strauss) celle des Indiens d’Amazonie, ou les Immémoriaux (Victor Ségalen) celle du peuple maori de Tahiti. La seconde étape évoque plus précisément le contenu des ouvrages s’intéressant aussi bien aux peuples premiers (Les Lances du crépuscule, de Philippe Descola, décrit la société des Jivaros d’Amazonie; Les Yeux de ma chèvre, d’Eric de Rosny, évoque les guérisseurs camerounais de Douala) qu’aux métiers et aux sociétés traditionnelles (Le Cheval d’orgueil, de Pierre Jakez-Hélias, évoque le pays bigouden (Bretagne) des années 30); d’autres ouvrages sont à l’honneur comme la biographie de Margit Gari qui décrit dans Le Vinaigre et le fiel, la société paysanne hongroise, ou bien encore l’ouvrage de Claude Lucas -un braqueur de banque qui a écrit Suerte- ou celui de Patrick Declerck qui relate la vie de clochards parisiens dans Les Naufragés.

Illustration de Tristes Tropiques. Le meilleur informateur de l'auteur (Bororo) en tenue de cérémonie.
(Photo : Claude Lévi-Strauss)
«Nous sommes des camarades en Terre humaine !»

La troisième partie pointe sur le processus de fabrication d’un ouvrage à travers la genèse de L’Eté grec de Jacques Lacarrière, depuis les carnets de voyage, les photographies prises sur le terrain, et les documents collectés par l’auteur jusqu’aux épreuves corrigées. Ces textes sont tous le résultat d’un travail de longue haleine, documenté, érudit, pétri d’enquêtes et de regards croisés, accompagnés de documents photographiques ou de croquis attestant d’un souci de véracité pour rester au plus près de l’authenticité et de la rigueur scientifique, attestant également d’un désir d’offrir au lecteur différentes voies pour construire son propre cheminement intellectuel. En fin de parcours, l’accent est mis sur le succès de la collection auprès d’un large public qui forment ensemble une «communauté en Terre humaine», sans frontières, car les textes sont traduits et diffusés dans le monde entier: «Nous sommes de

s camarades en Terre humaine !», disait Pierre Jakez Hélias.

Jean Malaurie a choisi de donner comme logo du cinquantenaire de la collection le titre de l’un de ses ouvrages les plus inspirés sur la vie de pauvres métayers de l’Alabama réduits à la misère par la grande dépression des années 30: «Louons maintenant les grands hommes !» de James Agee et Walker Evans, véritable livre-culte pour toute une intelligentsia américaine, française et allemande. Dans un entretien livré à Livres hebdo, Jean Malaurie s’est exprimé : «Le livre est essentiel. Il est là pour consigner les pensées et les paroles de l’homme avant qu’elles ne s’évanouissent. (…) [L’exposition organisée] rend justice aux auteurs de la collection, aux ‘camarades en terre humaine’».


par Dominique  Raizon

Article publié le 17/02/2005 Dernière mise à jour le 17/02/2005 à 17:57 TU

Réalisation multimédia : Pascale Hamon