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Soudan

Darfour : «L’enfer brûle toujours»

Un camp de déplacés au Darfour.(Photo : AFP)
Un camp de déplacés au Darfour.
(Photo : AFP)
Les civils martyrisés du Darfour et ceux qui tentent de les secourir désespèrent toujours de voir se concrétiser le cessez-le-feu signé le 8 avril 2004 par Khartoum et les rebelles du Mouvement de libération du Soudan (MLS) et du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM). Pour autant, la commission conjointe chargée de surveiller l’introuvable cessez-le-feu n’a pas été dissoute. Elle a même tenue sa septième réunion, jeudi, à N’Djamena, où les belligérants s’étaient promis la paix l’année dernière. Son communiqué final annonce «l’envoi sur le terrain d’une équipe de vérification des positions occupées par les forces en présence en vue d'élaborer un plan de séparation de ces forces et également de vérifier l'effectivité de la proclamation du cessez-le-feu par les parties».

A défaut de cessez-le-feu effectif, la commission conjointe demande aux rebelles du Mouvement de libération du Soudan (MLS) et du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) de lui «communiquer sans délai» la cartographie des «positions occupées par leurs forces». Pour faire bonne mesure, elle donne trois semaines aux forces gouvernementales pour se retirer de trois localités (Labado, Ishma et Draida). Rien toutefois qui semble suffisant pour dissuader les belligérants de continuer d’en découdre loin du tapis vert, chacun comptant sur le temps pour se tirer d’affaire, sans se soucier des promesses gravées dans le protocole d'Abuja du 9 novembre 2004. Ce dernier devait en effet permettre d’adoucir le sort des populations en faisant baisser le taux d’insécurité et monter celui de la couverture humanitaire.

Pourparlers de paix en suspens

La réunion de la commission mixte de surveillance du cessez-le-feu était précédée le 16 février à N’Djamena d’un mini-sommet africain auquel participait le président soudanais Omar al-Bachir venu une fois de plus jurer de sa bonne foi devant ses pairs. Il a notamment affirmé que Khartoum avait «retiré tous les bombardiers du Darfour» et invité «les rebelles et ceux qui les soutiennent à venir à la table des négociations pour trouver une solution définitive à la crise». Pour sa part, l’Egypte a décliné l’invitation de l'Union Africaine (UA) à organiser un sommet au Caire sur le Darfour, le président Moubarak faisant savoir qu’il souhaitait au préalable «analyser les résultats du sommet du Tchad». A défaut de la moindre avancée décelable, les pourparlers de paix interrompus à Abuja en décembre dernier risquent bien de rester encore en suspens.

«L'heure n'est plus aux palabres interminables», avait lancé le président tchadien Idriss Deby en ouverture au sommet de N’Djamena, en préconisant même un «plan de neutralisation et de désarmement des milices pro-gouvernementales janjawid» dont les attaques chassent des villages entiers du côté tchadien de la frontière soudanaise. A défaut d’obtenir quoi que ce soit des belligérants, les chefs d'Etat africains recommandent à l’UA de durcir sa présence militaire au Darfour en réorganisant ses soldats en bataillons et en les équipant plus solidement. Les soldats africains déployés au Darfour devraient être bientôt 3 000, un effectif très insuffisant pour assurer la sécurité des humanitaires qui voient la situation se détériorer avec la multiplication des exactions perpétrées par chacune des parties.

Le 16 février, en présentant son rapport au Conseil de sécurité le Haut commissaire de l'Onu pour les droits de l'Homme, Louise Arbour, avait estimé que la Cour pénale internationale (CPI) constituait le «seul moyen crédible de traduire en justice les auteurs» des crimes commis au Darfour, et cela pour tenter «d'arrêter le carnage» décrit par les enquêteurs. Selon ces derniers, les forces gouvernementales soudanaises et les milices arabes janjawid ont tué torturé, violé, enlevé et tué des civils dans toute la région. Les rebelles n’ont pas été en reste. Au total, selon Louise Arbour, les exactions commises par les belligérants «de façon systématique et répandue peuvent donc constituer des crimes contre l'humanité», même si la Commission n'a pas pu établir l’effectivité d’un génocide. Reste que les réticences de Washington vis-à-vis de la CPI hypothèquent la sanction judiciaire préconisée par Louise Arbour. En Europe, des pays comme la Grande-Bretagne, le Danemark ou l’Italie freinent également des quatre fers.

La lecture du rapport Arbour «donne le frisson» au secrétaire général, Kofi Annan. A ses yeux, il «démontre, au-delà de tout doute possible, que les deux dernières années ont été rien moins que l'enfer sur terre» pour les habitants du Darfour. Pourtant, déplore-t-il, et «malgré l'attention du Conseil de sécurité, cet enfer brûle toujours». Selon Kofi Annan, «tout l'éventail des options devrait être envisagé, y compris des sanctions ciblées, le renforcement des efforts de maintien de la paix, de nouvelles mesures pour protéger les civils et l'accroissement des pressions sur les deux parties afin de trouver une solution politique». Mais en la matière, Kofi Annan estime que l’Union africaine n’a pas les moyens, à elle seule, ne serait-ce que de répondre aux urgences sécuritaires.

«Même avec l'aide de l'ONU, de l'Union européenne, des États-Unis et d'autres donateurs, les capacités de l'Union africaine en matière de sécurité restent dérisoires au regard de l'ampleur du problème», a souligné Kofi Annan, le 13 février, devant la 41e Conférence annuelle sur la sécurité internationale, à Munich. Il appelle donc «les organisations qui disposent de capacités réelles – comme l'OTAN et l'Union européenne» à s’impliquer directement au Darfour. En attendant, les humanitaires ont de plus en plus de difficulté à franchir les obstacles sans cesse posés et déplacés par les mouvements de troupes adverses. Une proportion de plus en plus importante des 6 millions d’habitants du Darfour dépend de l’aide humanitaire pour survivre. Ils seraient aujourd’hui 2,3 millions de civils en perdition, contre 1,5 millions en janvier dernier. Mais pour eux non plus, la générosité internationale n’est pas au rendez-vous, après les tsunamis.


par Monique  Mas

Article publié le 18/02/2005 Dernière mise à jour le 18/02/2005 à 17:41 TU