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Francophonie

L’avenir aux Seychelles passe par le «seselwa»

La fondation d’un Lenstiti kréol (Institut créole) a permis depuis plus de vingt ans de promouvoir la langue et l’identité créoles dans l’archipel.(Photo : DRl)
La fondation d’un Lenstiti kréol (Institut créole) a permis depuis plus de vingt ans de promouvoir la langue et l’identité créoles dans l’archipel.
(Photo : DRl)
La situation linguistique aux Seychelles se caractérise par une coexistence originale entre le créole, l’anglais et le français. Trois langues qui jouent chacune des rôles spécifiques et complémentaires dans la construction nationale seychelloise.

De notre envoyé spécial à Mahé

Réputées pour ses plages paradisiaques, ses palmiers, ses tortues et ses cocos de mer, la République des Seychelles est aussi le seul pays du monde avec Haïti où le créole jouit d’un statut légal, celui de langue officielle et de première langue nationale. Erigée en vecteur privilégié de la culture seychelloise depuis l’indépendance en 1976, le seselwa, nom que l’on donne parfois à la variante du créole parlée par l’ensemble de la population des Seychelles, connaît aujourd’hui un essor certain, comme en témoigne l’émergence d’une littérature seychelloise en langue créole.

Celle-ci était à l’honneur à Mahé (la principale île des Seychelles) le 21 février dernier, lors des célébrations de « la zournen enternasyonal lalang maternel ». Ces célébrations revêtaient cette année une signification particulière à cause de la présence sur l’archipel d’une délégation de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) venue remettre, à cette occasion, à une romancière du cru, de langue créole de surcroît, son prestigieux prix littéraire Kadima. Du nom d’un linguiste congolais, ce prix est attribué par l’AIF tous les deux ans à trois catégories d’ouvrages (création littéraire, recherche appliquée et traduction) dans l’une des langues transnationales africaines ou créoles. Il s’inscrit dans la stratégie de renforcement du plurilinguisme et de la diversité culturelle au sein de l’espace francophone. Compte tenu de l’importance qu’attachent les Seychelles à la nécessité de susciter une littérature écrite en langue créole pour mieux asseoir leur identité créole, on comprendra que l’attribution du prix Kadima à la Seychelloise créolophone Thérésa Dick pour son roman Koze mirak ne pouvait guère passer inaperçue. Elle fut en réalité le clou de la soirée du 21 février.

Recevant sa récompense des mains du chef de la délégation de l’AIF Julien Kilanga Musinde, la lauréate qui est aussi la directrice de l’Institut kréol où s’est déroulée la cérémonie de remise des prix en présence de nombreux ministres et personnalités importantes de l’archipel, a dit sa joie d’être ainsi distinguée. Ce prix couronnait au-delà de sa personne, a-t-elle affirmé, « les efforts déployés par l’Institut kréol en vue de valoriser la langue maternelle des Seychellois. Des années durant, on nous a répété que notre langue maternelle n’était pas capable de véhiculer ni des idées avancées de la science ou de la technologie, ni les sentiments et concepts du beau et du bien qu’exprime la littérature. Le prix Kadima qui vient de m’être attribuée aujourd’hui prouve que ma langue est aussi riche que n’importe quelle langue internationale. »

Le créole seychellois, à base lexicale française, est né de l’hybridation des parlers et des dialectes qui se sont confrontés sur ces îles depuis le milieu du XVIIIe siècle lorsque les Français en ont pris possession et y ont installé une société esclavagiste. Il fut dans un premier temps la langue de communication entre maîtres français et travailleurs serviles d’origines africaine, chinoise ou indienne, avant de devenir la lingua franca de tous les Seychellois au fur et à mesure que les races se sont mélangées, engendrant une population nouvelle. Mais pendant toute la période coloniale, l’usage du créole était banni du système scolaire car il était considéré comme une langue inférieure car « bâtarde » et liée à l’esclavage.

Il a fallu attendre les indépendances pour voir le créole se doter enfin d’un statut officiel. Depuis 1981, il est même devenu la première langue des Seychelles, langue dans laquelle les enfants sont alphabétisés à l’école primaire. Le lancement en automne 1985 d’une semaine créole qui est devenue, depuis, le grand festival annuel de la créolité seychelloise, la fondation d’un Lenstiti kréol (Institut créole) en 1986 sont les grandes étapes de cette politique volontariste poursuivie par les autorités de l’archipel depuis plus de vingt ans pour promouvoir la langue et l’identité créoles.

Ouvrage publié par l’Institut créole des Seychelles.
(Photo : Lenstiti kreol)
Créole, français: même combat ?  

Cette montée en puissance du créole depuis l’indépendance s’est faite largement aux dépens du français qui fut la langue dominante aux Seychelles pendant la période coloniale. Première langue à s’implanter dans l’archipel suite à sa découverte par Lazare Picault et Jean Grossin le 19 novembre 1743, le français avait su résister avec succès à l’anglicisation lorsque ces îles sont devenues anglaises en 1814, à la suite du Traité de Paris. Il s’est maintenu jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale comme le principal médium d’enseignement dans les écoles de l’archipel gérées pour la plupart par des missions catholiques. Mais en 1944, à la faveur d’une réforme de l’Instruction publique, c’est l’anglais qui est devenu le médium d’enseignement et le français une matière d’enseignement, certes obligatoire.

Cette situation n’a pas changé après l’indépendance malgré l’introduction du créole à l’école dans le primaire. Dans les grandes classes, l’anglais prend le relais du créole et les études sont sanctionnées par des examens conduits en anglais. Conséquence: l’érosion progressive de l’influence du français, surtout parmi les jeunes générations. La fermeture du centre culturel français il y a une dizaine d’années faute de crédits, a contribué à ce déclin manifestement inexorable de la langue de Molière.

Pas si inexorable que cela, si l’on en croit Guy Lionnet, auteur d’un dictionnaire français-kréol. « L’anglais, malgré les progrès qu’il a faits aux Seychelles au cours des 40 dernières années, continue à n’y être qu’une langue que l’on peut qualifier d’étrangère, donc peu utilisée dans le domaine de la communication intérieure et de la créativité culturelle, écrit ce philologue fin connaisseur de la situation linguistique seychelloise. Le français, par contre, bien qu’il soit moins bien enseigné que par le passé, en raison de ses affinités lexicales avec le seselwa, est sans doute la langue la mieux comprise après le créole aux Seychelles, même si elle est aujourd’hui moins parlée que l’anglais. Aussi est-il avec le créole une des deux langues culturelles des Seychelles. »

L’autre atout du français est fondé sur l’environnement francophone dans lequel baignent les Seychelles entourés de pays tels que la Réunion, Madagascar, Maurice et les Comores où domine la francophonie. Dans ce contexte, la maîtrise adéquate du français est la condition sine qua non de l’intégration harmonieuse de l’archipel dans son environnement géo-politique. C’est sans doute la prise de conscience de cette réalité qui a poussé les Seychelles à rejoindre très tôt, dès son indépendance en 1976, le mouvement international de la Francophonie en même temps qu’elles faisaient partie du club du Commonwealth.

Bien qu’elle survienne trente ans après, la remise aujourd’hui du prix Kadima à une oeuvre littéraire en créole s’inscrit dans la réciprocité de ce geste fondateur, éminemment politique et pragmatique des autorités seychelloises. C’est la reconnaissance par la communauté francophone de la réalité trilingue des Seychelles, mais aussi la reconnaissance que l’avenir du français sur l’archipel passe nécessairement par la valorisation et la célébration du seselwa, double historique et fraternel de la langue des premiers colons.


par Tirthankar  Chanda

Article publié le 02/03/2005 Dernière mise à jour le 02/03/2005 à 16:41 TU