Paléontologie
Découverte du plus ancien bipède du monde
(Photo : AFP)
Fait «assez rare», «une chaîne complète [d’os] de la ceinture au pied», comprenant «un tibia complet, des parties d’un fémur, de côtes, des vertèbres, la clavicule, le bassin et l’omoplate complet d’un [hominidé] adulte», vient d’être découverte à soixante kilomètres du site où Lucy, la célèbre australopithèque âgée de 3,2 millions d’années, est sortie de l’ombre en 1974 grâce à un paléontologue français, Yves Coppens. S’ils n’ont pas encore déterminé à quel sexe et à quelle espèce précise appartenait ce squelette, les chercheurs ont déjà assuré que l’os de la cheville de l’individu appartenait à un bipède.
«Normalement, on trouve un os ou deux d’un individu, et on est satisfait. Là, nous avons trouvé un squelette partiel (…). Un squelette n’est pas juste un amas d’os, cela permet de dire beaucoup plus de choses sur l’individu que les os isolés», souligne Bruce Latimer, directeur du musée d’histoire naturelle de Cleveland (Ohio, Etats-Unis) ayant participé aux fouilles. L’équipe de chercheurs américains et éthiopiens, conduite par Yohannes Hailé-Sélassié, s’enthousiasme déjà car la découverte «va révolutionner la manière dont nous regardons l’évolution de l’humanité», et «compléter très sérieusement le tableau de nos origines».
«Nous avons Lucy, qui marchait comme nous. Ensuite, nous avons l’Ardipithecus ramidus [découvert en Ethiopie en 1994] vieux de 4,4 millions d’années. Ce squelette [découvert dans la région Afar] va nous permettre de comprendre ce qui s’est passé entre les deux, comment la marche debout est apparue, ce que nous n’avons jamais eu auparavant», a déclaré Bruce Latimer. Actuellement, la communauté scientifique, qui a unanimement reconnu que Lucy était bipède, reste divisée en ce qui concerne l’Ardipithecus ramidus: d’aucuns pensent qu’il s’agit d’un ancêtre de l’homme, d’autres considèrent qu’il s’agit d’un grand singe. Les chercheurs ont matière à s’interroger avec ce nouvel hominidé, dont la datation est intermédiaire, car «cet individu était plus grand que Lucy, ses jambes sont plus longues (…) et pourtant il est plus vieux, ce qui est étrange», a admis Bruce Latimer.
Vers de nouvelles spéculations sur la biomécaniqueCette découverte n’a pas fini de faire couler de l’encre sur l’origine de la bipédie. Au début du siècle dernier, la chose était entendue: ce qui différencie l’homme de l’animal est le fait qu’il marche sur deux jambes, une différenciation simple, rapide et rassurante: je marche donc je suis un homme et donc je ne suis pas un animal. Mais l’hypothèse, depuis, a été abandonnée. De la même façon a été abandonnée l’idée que la nécessité faisait force de loi et que c’est l’environnement qui aurait provoqué, au cours d’une longue évolution, la bipédie. Une autre hypothèse, en vigueur encore aujourd’hui, consiste à dire que la bipédie est ancestrale c’est-à-dire qu’elle n’est pas une évolution mais une aptitude commune à tous les hominidés et qui se serait amplifiée au fur et à mesure du temps pour devenir chez les hommes modernes l’unique moyen de locomotion (à la différence des grands singes devenus arboricoles). Enfin, à contre courant de la pensée générale, plusieurs scientifiques s’appuyant sur des études anatomiques spécialisées dans l’analyse des membres inférieurs des hominidés, avancent aujourd’hui une autre théorie: les hommes modernes auraient au contraire en commun un ancêtre dont la bipédie était le principal moyen de locomotion. Cette bipédie serait originelle et distinguerait les grands singes actuels et la lignée humaine.
L’individu découvert, plus homme que gorille, vivait dans la savane de la Corne de l’Afrique. «Cette découverte nous en dira beaucoup sur la façon dont nos ancêtres marchaient il y a quatre millions d’années, quelle taille ils faisaient, et quels aspects ils avaient», a souligné Yohannes Hailé-Sélassié; à quoi pouvait-il ressembler ? Yves Coppens résume : «Il devait être essentiellement végétarien, s’alimentant de fruits et de racines. En même temps, il ne crachait sûrement pas sur la viande quand les petits gibiers étaient à sa portée. Il vivait en société (…) il avait tout simplement intérêt à s’associer avec d’autres êtres. Il communiquait par sons et par gestes».
L’autopsie du squelette devrait donc d’une part permettre de nouvelles spéculations concernant la biomécanique, et donner d’autre part un éclairage sur l’environnement de l’époque car, «si cette espèce ne grimpe pas aux arbres, c’est peut-être parce qu’il n’y avait plus d’arbres sur lesquels grimper, et que la savane n’était plus boisée. C’est [aussi] un indice important pour comprendre l’évolution des climats», explique Yves Coppens.par Dominique Raizon
Article publié le 07/03/2005 Dernière mise à jour le 08/03/2005 à 08:35 TU