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Pérou

Un Français parmi les cocaleros

Les paysans assistent impuissants à l’arrachage de leurs plantations de coca.(Photo : Anne Corpet/RFI)
Les paysans assistent impuissants à l’arrachage de leurs plantations de coca.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Michel Portier, 38 ans, est né et a grandi en Haute-Savoie. Il était mécanicien fraiseur quand il a quitté la France en 1988 pour venir au Pérou. Aujourd’hui, il est maire d’une ville de dix mille habitants dans la cordillère des Andes, et se bat pour défendre la cause des planteurs de coca.

De notre envoyée spéciale à Macusani

Michel Portier, maire de Macusani.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Michel ne quitte jamais sa casquette. A Macusani, 4 450 mètres d’altitude, c’est prudent: le soleil est sans pitié. Michel est arrivé au Pérou à l’âge de 22 ans, dans le sillage d’un prêtre de sa région natale, et il est resté. Dans les rues de Macusani, il marche vite, salue tout un chacun. On l’appelle «Miguel» ou «Monsieur le maire». Il a été élu l’année dernière sur une liste indépendante et paysanne, et est aussi devenu chef de la province de Carabaya, l’une des plus pauvres du Pérou.

Feuilles de coca.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Sur les bancs de la grand place, face à la mairie et l’église, les vieux portent à la bouche des feuilles vertes séchées, qu’ils piochent dans un chapeau. «Ici, tout le monde consomme de la coca», assure Michel, «elle aide à lutter contre le mal d’altitude, la fatigue, et la faim. C’est utile par ici». Le bureau de Michel est au premier étage de la mairie, avec vue directe sur le clocher de pierre. Un tas de dossiers à classer, des papiers à signer en urgence, un adjoint qui l’interpelle au sujet du feu d’artifice de la fête de la Vierge.

La coca sèche au soleil devant les baraques des paysans.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Et Michel reprend : «Ici, dans l’Altiplano, la seule richesse, c’est la laine d’alpaga, un cousin du lama. En dix ans les prix ont chuté de moitié. La population n’a plus de ressources pour survivre, et beaucoup sont descendus dans la vallée pour cultiver la coca. La seule réponse de l’État, c’est l’éradication des parcelles, sans aucune aide pour le développement d’autres cultures. Ils laissent les paysans sans ressources, c’est vraiment une aberration». Et il poursuit, déterminé: «Face à cela, nous, les congressistes de Puno, on s’est mis ensemble pour dire ‘non’. Non à la violence de l’État contre les paysans». Michel soulève sa casquette et conclut: «Allez à San Gaban. On parlera après».

«La coca, meilleure que les épinards»

Des troupeaux d’alpagas et de lamas paissent l’herbe rase, veillés par quelques silhouettes colorées, assises dos au vent. Derrière se découpent les sommets de la cordillère des Andes. Sur de gros rochers ou le flanc de maisonnettes aux toits de chaume, le nom de Michel apparaît en grosses lettres rouges, vestiges de la campagne électorale de l’an passé. La piste longe ensuite le bord d’un canyon, et plonge brutalement: près de 4 000 mètres de dénivelé à descendre.

Une paysanne dont la parcelle de coca a été arrachée.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
La végétation se diversifie, se renforce, se densifie. San Gaban, est situé à l’entrée de la forêt amazonienne. Sur la porte de la mairie, il y a une affiche : le dessin d’une petite feuille de coca en colère qui brandit le poing et dit dans une bulle: «La coca andine est meilleure que les épinards de Popeye ! Si tu manges de la coca, tu ne te drogues pas. Si tu manges du raisin, tu ne te saoules pas. S’ils éradiquent les plantations de coca, alors qu’ils éradiquent aussi les vignes, les plantations de canne à sucre ! » Sous le dessin, en grosses lettres: «Non à l’éradication. Je suis l’origine millénaire du Pérou». Juste à côté de l’affiche est punaisé le décret présidentiel qui évoque une «éradication progressive et concertée de la coca».

Patrouille mixte de la Dinandro et de la Corah, chargée de l’éradication de la coca.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Urbano, adjoint au maire de San Gaban, nous guide à travers la forêt. Il faut emprunter une piste boueuse jusqu’à Oroya, puis suivre à pied des petits sentiers sous la voûte humide et bruissante, avant d’aboutir sur une parcelle dégagée. Des branchages jonchent le sol, tout a été arraché. La bicoque de l’exploitant est visiblement abandonnée. «Si les Américains pensent que ces plantations sont un problème, ils devraient aider les paysans à trouver des solutions de rechange. Parce que le gouvernement péruvien ne s’en occupe pas», lance Urbano. Un peu plus loin, un champ a été épargné. Gregorio passe des fumigènes. «Nous sommes prêts à cultiver autre chose, si cela rapporte de quoi vivre...» Des tapis de feuilles de coca sèchent devant les cahutes, le long de la piste principale.

À Challhuamayo, les habitants sont tous dehors, rassemblés au milieu du chemin à la nuit tombée. «Les agents de la Dinandro (organisme d’État chargé de l’éradication de la coca) ont installé un campement au-dessus ! Ils sont des centaines, les hélicoptères ont fait des allers et retours toute la journée ! », s’exclame un homme. Et une femme: «On est très préoccupés. Personne n’a mangé ce soir, personne n’a faim».

Des accords non respectés

Un sentier glissant grimpe dans la forêt au-dessus d’une large rivière. Trois hommes armés de mitraillettes barrent le passage. Derrière eux, une clairière: des dizaines de personnes arrachent méthodiquement les plants de coca. D’autres hommes en armes approchent, ce sont des policiers, membres de la Corah et de la Dinandro (deux organismes d’État chargés de la lutte contre la drogue et de l’éradication de la coca). Personne n’a le droit de s’exprimer sauf le procureur, qui se trouve au campement, de l’autre côté. Fernando, le propriétaire, se désole: «C’est comme si on me volait mon repas. Je ne demande qu’une dizaine de sillons sur pied, pour le soutien de ma famille». Osvaldo Rojas, porte-parole des cocaleros de San Gaban s’indigne: «Les accords signés à Lima le 25 octobre ne sont pas respectés ! Ils devaient nous donner des titres de propriété, goudronner la route, promouvoir les cultures alternatives. Mais l’Etat ne fait rien ici, à part nous envoyer ces hommes en armes arracher nos cultures !».

Des hommes armés surveillent l’arrachage des plans de coca.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Halte dans une maison de bois sommaire. «À Lima, ils disent que nous sommes des trafiquants de drogue et que nous roulons tous en 4x4. Mais est ce qu’on a des voitures ? Des demeures luxueuses ? Des antennes paraboliques ?», ironise la propriétaire des lieux. Plus loin, une autre patrouille armé : «Nous allons voir le procureur. Il nous attend, il est prévenu par radio». Un hélicoptère survole la forêt. «Le procureur ? Cela m’étonnerait…», dit le soldat. Et du menton, il nous montre l’engin qui s’éloigne.

A Macusani, la coca se vend comme une denrée ordinaire sur tous les étals.
(Photo : Anne Corpet/RFI)
Retour à Macusani. Michel Portier anime la réunion de tous les maires du district. Bientôt, il ira à Lima en leur nom défendre la cause des cocaleros. «La pauvreté ne se combat pas avec la répression. Vous avez vu les hélicoptères, les hommes en armes, c’est l’état de siège dans la vallée ! On ne peut pas permettre que la lutte anti-drogue se fasse comme ça. Qu’elle soit dirigée contre les paysans». Michel nous emmène chez lui: trois pièces principales autour d’une courette. Il n’y a pas de chauffage, et l’hiver, il fait six degrés à l’intérieur. «Le confort européen ne me manque pas», assure-t-il, «Ici, on ne regarde pas les gens pour ce qu’ils ont, mais pour ce qu’ils sont. La chaleur humaine compense tout le reste».


par Anne  Corpet

Article publié le 19/03/2005 Dernière mise à jour le 21/03/2005 à 15:12 TU