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Argentine

Un évêque puni pour ses propos

Les autorités argentines ont décidé de retirer à Mgr Antonio Basseoto, évêque des Armées, son accrédidation, provoquant ainsi la colère du Vatican.(Photo:AFP)
Les autorités argentines ont décidé de retirer à Mgr Antonio Basseoto, évêque des Armées, son accrédidation, provoquant ainsi la colère du Vatican.
(Photo:AFP)
Le gouvernement argentin a choisi de retirer son accréditation à Mgr Antonio Baseotto, évêque aux Armées, qui a laissé entendre que les personnes favorables à l’assouplissement de la loi interdisant l’avortement méritaient de finir au fond de la mer, une pierre attachée autour du cou. Ses propos ont d’autant plus choqué qu’ils font allusion à un supplice largement utilisé pendant la dictature. Une polémique générée par la question de l’avortement, encore largement taboue en Amérique Latine.

«Mais si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mît au cou une grosse meule de moulin, et qu’on le jetât dans la mer». Cette phrase tirée de l’Evangile selon Marc a déclenché une véritable tourmente politique en Argentine. Elle a été utilisée par Mgr Antonio Baseotto, évêque aux Armées, dans une lettre adressée au ministre de la Santé, Gines Gonzalez Garcia, un homme qui avait manifesté son soutien en faveur d’un assouplissement de la législation sur l’avortement. Or, l’idée de pouvoir lancer un homme à la mer un poids attaché au cou en raison de ses convictions est particulièrement choquante dans ce pays qui a connu entre 1976 et 1983 une féroce dictature. Près de 30 000 personnes sont, vingt ans après la fin de cette sombre période, toujours portées disparues. Et il est pratiquement impossible que leurs corps soient un jour retrouvés car les militaires argentins avaient recours «aux vols de la mort», lestant les corps d’opposants politiques avant de les jeter du haut d’avions ou d’hélicoptères dans l’océan.

Très impliqué dans lutte contre l’impunité dont ont longtemps bénéficié les bourreaux de la dictature, le président Nestor Kirchner pouvait difficilement tolérer qu’un homme d’Eglise puisse proposer publiquement que le pays se débarrasse de cette manière des partisans de la dépénalisation de l’avortement, en visant particulièrement un membre de son gouvernement. Il a du coup choisi de retirer à Antonio Baseotto son accréditation et de le démettre de ses fonctions de sous-secrétaire d’Etat, le privant ainsi également de son salaire mensuel de 5 000 pesos (1 300 euros). La séparation des pouvoirs n’existant pas en Argentine entre l’Etat et l’Eglise, c’est par décret présidentiel qu’Antonio Baseotto avait reçu la charge d’évêque des Armées, sur proposition de l’Eglise. «Cet accord n’a plus cours», a expliqué Alberto Gonzalez, chef de cabinet du président argentin. «Ses déclarations recommandaient de faire quelque chose de très semblable à ce qu’il se passait dans les années noires du passé».

Privé de son accréditation, Mgr Baseotto ne peut donc plus exercer son ministère de manière officielle auprès des forces armées. Une situation qualifiée par le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro Valls, de «violation de la liberté religieuse». Rejetant cette affirmation, les autorités argentines ont rappelé qu’elles avaient transmis fin février au Vatican par le biais du nonce apostolique Adriano Bernardini une demande de remplacement de l’évêque aux Armées. Et elles insistent sur le fait qu’il pourra continuer à remplir ses obligations pastorales dans le pays. Pour ce pays très catholique, il est en effet essentiel d’éviter toute crise trop profonde avec le Vatican. Et la nomination d’un nouvel évêque aux Armées devrait permettre d’y mettre bientôt fin.

Une situation hypocrite

La question de société à l’origine de cette polémique devrait, au contraire, continuer de prendre de l’ampleur dans l’avenir en Argentine. Pour sa défense, Mgr Baseotto a insisté sur le fait que ses propos avaient été sortis de leur contexte et que l’objectif de sa démarche s’en trouvait occulté. «La lettre vise à défendre la vie face à une campagne qui se déroule dans tout le pays et en Amérique Latine, peu à peu, pour introduire une législation favorable à l’avortement», a-t-il expliqué dans une interview accordée à la station Radio Solidaria. Admise seulement si la vie de la mère est en danger ou en cas de viol d’une débile mentale, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) reste un véritable tabou en Argentine. Mi-mars, la Conférence épiscopale argentine a rappelé dans une déclaration que la «défense des droits de l’Homme fondamentaux» passait par la «protection de la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle ». Une manière pour l’Eglise argentine de renouveler son refus catégorique de tout texte moins restrictif en matière d’avortement.

Si cette possibilité a été évoquée par le ministre argentin de la Santé, c’est parce que l’avortement est une pratique très répandue en Argentine malgré son interdiction officielle. Gines Gonzalez Garcia a ainsi récemment plus de 500 000 IVG étaient réalisés chaque année dans le pays, un chiffre en constante augmentation. Il est en fait très facile pour les couches les plus aisées de la population de se rendre dans des cliniques privées onéreuses pour se faire avorter dans de bonnes conditions, l’anonymat y étant totalement garanti. Par contre, beaucoup femmes de milieux moins fortunés vivent un véritable calvaire, devant compter sur les services d’avorteuses aux méthodes rudimentaires et dangereuses. Plusieurs centaines de femmes perdent ainsi la vie chaque année, tandis que de nombreux enfants souffrent de graves séquelles. Et face à l’hypocrisie et l’injustice de cette situation, de plus en plus d’Argentins soutiennent une législation qui rendrait l’avortement légal. Selon une récente enquête divulguée par le quotidien Pagina 12, 60% des habitants de la capitale se prononcent en faveur de la dépénalisation.

Des prises de position similaires se retrouvent dans de nombreux pays voisins, à commencer par le Chili où la législation est encore plus restrictive. L’avortement n’est en fait légal dans aucun pays latino-américain, chaque Etat ayant défini un certain nombre d’exceptions à cette règle. Et chaque nouvelle tentative d’assouplissement ne manque pas de générer de vifs débats de société. Le tribunal suprême du Brésil a ainsi contesté voilà une dizaine de jours une mesure du ministère de la Santé visant à élargir le droit à l’avortement aux femmes affirmant avoir été victimes de viol mais ne disposant pas de déclaration de police, comme l’exige la loi. Cette décision, contestée sur le fond, avait pour but de lutter contre les avortements clandestins, quatrième cause de décès chez les femmes. Et elle démontre les difficultés que rencontrent les partisans de l’IVG en Amérique Latine, une région dans laquelle l’Eglise continue d’avoir une influence très forte.


par Olivier  Bras

Article publié le 21/03/2005 Dernière mise à jour le 22/03/2005 à 10:22 TU