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Asie centrale

La crainte de la «contagion démocratique»

Le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, craint lui aussi une révolution.(Photo: AFP)
Le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, craint lui aussi une révolution.
(Photo: AFP)
Depuis la révolution des Roses en Géorgie, en 2003, les dirigeants de anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, indépendantes depuis 1991, craignent de se faire renverser comme cela vient d’arriver au président kirghize Askar Akaïev. Mais leurs craintes sont peut-être exagérées. Leur dictature est trop dure pour permettre à un mouvement non violent de réussir.

De notre correspondant à Tbilissi

Drôle de sortie pour l’apprenti démocrate que fut Askar Akaïev. C’est parce qu’il a fait de son pays autre chose qu’une dictature à l’image de celles de la plupart de ses voisins centre asiatiques, et malgré un tournant autoritaire amorcé en 1999, que la «révolution des Tulipes» a eu raison de sa ténacité. Car même si cette révolution ne mérite pas d’être appelée «des tulipes», car c’est la manière forte qu’a employé l’opposition, ce renversement n’aurait pas été possible sans cette souplesse insufflée, au début de son premier mandat, par le président Akaïev, 61 ans, élu en 1990 après une carrière de physicien. Une souplesse toute relative, dictée par la nécessité de se faire bien voir de l’Occident pour en recevoir les millions de dollars.

Car ces révolutions plus ou moins de velours, qui ressemblent à une seconde «chute du mur», n’arrivent pas n’importe où. Les cas serbe, octobre 2000, géorgien, novembre 2003, et ukrainien, en décembre dernier, ont pour point commun de s’être produits dans des pays qui n’étaient pas de franches dictatures, voire qui n’en étaient pas du tout. Quel que soit le degré d’organisation de ces révolutions, encouragées par des officines américaines (Freedom House, National Democratic Institute, Eurasia Foundation…), elles ne sont possibles que si le pouvoir accepte un minimum les règles du jeu démocratique, à l’occasion d’élection principalement. C’est toute l’intelligence de ces révolutions qui consistent à enfermer des pouvoirs détestés de la population, du fait de leur corruption éhontée, dans des règles admises comme universelles. Pour un peu qu’il y ait une opposition unie, des médias d’opposition qui puissent s’exprimer un tantinet, une frange de la population qui ne craint pas de dire ce qu’elle pense, un peu d’apprentissage de technique de l’action non violente, c’en est fait de la carrière de vieux apparatchiks…

Président à vie

Mais, comment imaginer une révolution au Turkménistan alors que Saparmourat Niazov y est président à vie ? Aucune de ces conditions n’est réunie dans ce pays qui compte parmi les plus fermés du monde. Sans parler du régime policier qu’a mis en place Turkmenbachi, «le père de tous les Turkmènes» ainsi que se fait appeler Niazov. Aucune organisation non gouvernementale étrangère ne peut y œuvrer.
Situation quasi identique en Ouzbékistan. Trois mois après la «révolution des Roses» géorgienne, le président Islam Karimov faisait fermer la fondation Soros dans son pays. George Soros, ce milliardaire américain qui finance des fondations visant au développement de la «société ouverte» depuis 1993, surtout dans les pays de l’ex-URSS, et sa fondation de Tbilissi ayant fortement contribué à la chute d’Edouard Chevardnadzé. Le président ouzbek a peur qu’un scénario à la géorgienne ne se produise chez lui. Déjà très dur, son régime l’est devenu encore un plus et s’est fermé encore davantage. En décembre dernier, des «élections» ont eu lieu en Ouzbékistan. Les observateurs internationaux n’ont pas pu les observer.

La présence des ONG étrangères est bien une des conditions nécessaires pour qu’une révolution de velours se produise. Pas seulement parce que certaines d’entre elles y travaillent. La «théorie du complot» ne saurait suffire pour expliquer cette vague révolutionnaire d’un nouveau type. Mais aussi parce qu’en permettant le développement d’un tissu associatif, la société civile émerge lentement et forme un contre pouvoir aux autorités en place.

L’autre «candidat» pour une telle révolution pourrait être le Kazakhstan. L’internationale révolutionnaire, active en Géorgie ou en Ukraine, s’intéresse à son cas. Mais ce pays, grand comme cinq fois la France, est riche en pétrole. Il sera l’un des cinq ou dix plus grands producteurs du monde en 2015. D’où des rentrées de devises qui ont soutenu une croissance de 9% en 2004. Lors d’élections libres, le président Noursoultan Nazarbayev, élu en 1991, serait réélu. Et ce malgré la corruption, dont son clan profite, et les faibles retombées sur toute une partie de la population. Noursoultan Nazarbayev craint lui aussi une révolution. Les médias, contrôlés en grande partie par sa fille aînée, Dariga, sont de moins en moins libres. Les partis d’opposition font l’objet d’un véritable harcèlement depuis quelques mois. En février, un tribunal d’Almaty a décidé la fermeture d’un des principaux partis d’opposition, le Choix Démocratique du Kazakhstan, au motif qu’il était une «organisation extrémiste».

Manque de volonté internationale

Par ailleurs, il n’est pas certain que Washington encouragera une révolution au Kazakhstan. Ses intérêts dans le pétrole kazakh sont peut-être trop importants pour que le clan Nazarbayev, qui apparaît comme une garantie de stabilité, soit délogé du pouvoir. N’est-ce pas ce qui explique le peu de protestations, américaines ou françaises par exemple, en octobre 2003, lors des présidentielles en Azerbaïdjan, un autre producteur d’or noir ? L’intervention étrangère, les pressions exercées par les grandes puissances, sont une «condition indispensable pour qu’une révolution non violente puisse se dérouler», explique Jacques Sémelin, spécialiste français des mouvements non violents au Ceri et au CNRS. C’est ainsi que les pouvoirs menacés sont eux-mêmes contraints d'utiliser des moyens non violents… et perdent ainsi leur position.

C’est peut-être ce manque de volonté internationale qui pourrait aussi empêcher une révolution au Tadjikistan, autre dictature de la zone. Mais la terrible guerre civile qui y a sévi entre 1992 et 1997, causant 50 000 morts, a laissé des séquelles et la stabilité du pays est bien fragile. Ce qui vient de se passer au Kirghizstan pourrait conduire à un durcissement de la part des pouvoirs en place dans les autres républiques d’Asie centrale. Si renversement il peut y avoir dans ces pays, ce sera plus probablement par des révolutions de palais… prenant éventuellement appui sur le mécontentement populaire.


par Régis  Genté

Article publié le 25/03/2005 Dernière mise à jour le 25/03/2005 à 12:12 TU

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Patrick Dombrowsky

Directeur du Centre d'études et de recherche sur l'Asie médiane

«Je verrais quand même pour ma part un peu plus de spontanéité dans le mouvement ukrainien que je n'en vois dans le mouvement kirghize»

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