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Mali

Les ruineuses conséquences du match Togo-Mali

Un blessé victime des émeutes qui ont suivi la défaite de l'équipe malienne de football face au Togo le 27 mars dernier à Bamako.(Photo : AFP)
Un blessé victime des émeutes qui ont suivi la défaite de l'équipe malienne de football face au Togo le 27 mars dernier à Bamako.
(Photo : AFP)
Les émeutes qui ont suivi le match de football du 27 mars dernier ont dévasté la capitale malienne. Le coût n’est pas seulement économique, mais également politique.

De notre correspondant à Bamako

« Des milliards de FCA sont partis en fumée ». Le fonctionnaire du ministère malien des Finances, qui « à titre privé » fait cette déclaration, n’a sûrement pas tort. La flambée de violence à Bamako, qui a suivie dimanche, la défaite des Aigles du Mali face au Togo, a causé d’innombrables dégâts.

D’abord dans le stade du 26 mars de Bamako. Plus de 40 000 spectateurs présents. 90ème minutes du match. Le Togo face au Mali, marque le but victorieux (2-1). L’aire de jeu est envahie par une partie du public. Des jets de pierres. Les forces de l’ordre interviennent à l’aide de gaz lacrymogène. Ils tirent à la verticale, ensuite à l’oblique. Ils sont débordés. Les joueurs togolais, en vitesse rejoignent les vestiaires. Des chaises sont lancées dans leurs directions. Les officiels restent bloqués trois heures au stade. Une partie des installations sportives, attaquées par le public. Le Premier ministre malien Ousmane Issoufi Maïga, coincé au stade, mettra des heures pour rejoindre son domicile par un chemin détourné. Avant son départ, il présente des excuses aux Togolais.

La furie se poursuit hors du stade. Des milliers de manifestants prennent le contrôle des principales artères de Bamako. A 200 mètres du stade une ambulance est incendiée. Le feu est ensuite mis au monument de « La Tour de L’Afrique » situé sur l’imposante avenue de L’OUA. Des barricades posées. Des pneus brûlés. Bamako la belle, devient Bamako la rebelle. Le siège local du Comité olympique est dévasté. Brûlé. « Il n’y a plus d’archive, la mémoire du comité local est partie en fumée », se lamente un responsable sportif.

Quadrillant la ville, les manifestants s’attaquent d’abord à d’autres « symboles sportifs ». Ainsi un autre stade (« Mamadou Konaté ») est attaqué, détruit en partie. Une imposante mascotte sportive, située à l’entrée de « l’Ancien pont » de Bamako, déboulonnée.

Les événements s’enchaînent. La police pour éviter un affrontement avec les manifestants n’intervient pas tout de suite. Maîtresse de la rue, la foule prend ensuite le contrôle du centre ville bamakois. Le Centre Aoua Kéita, qui abrite généralement des manifestations féminines est pris d’assaut. Ordinateurs, mobiliers détruits. Le feu brûle. Les arbustes du boulevard de l’Indépendance piétinés. Les feux de circulation brisés. Des lampadaires arrachés. Toujours dans la nuit du dimanche à lundi, non loin de la Grande mosquée de la ville, les vitres de trois véhicules sont brisées. D’autres véhicules incendiés. La colère monte. Des slogans réclament la démission de la Fédération malienne de football (FMF).

C’est le tour de plusieurs dizaines de bars restaurants et de petits hôtels, de lupanars où s’exercent le plus vieux métier du monde. Ils seront saccagés, ou carrément brûlés. Un tenancier de bar reçoit une vitre sur le bras. Il se tord de douleur. Plusieurs personnes sont blessées. La colère à Bamako est à son comble. Des boutiques et magasins attaqués, brûlés, dévalisés.

Bamako se réveille avec la gueule de bois

Des automobilistes tentent de se frayer un chemin. Des « droits de passage » sont réclamés par des jeunes désoeuvrés. Les bars et petits hôtels redeviennent la cibles des manifestants. La situation devient quasi insurrectionnelle. A l’ouest de la ville deux autres bars sont attaqués. Les actes de vandalismes se poursuivent. Des kiosques du PMU-Mali sont brûlés. Des hangars servant d’abris à la police routière deviennent des lingots de tôles. La presse locale fait état de plusieurs filles violées par des manifestants. L’Etat est muet. Du moins en apparence, puisque les autorités commencent par évaluer la situation. Près d’une centaine de personnes sont arrêtées. « Des casseurs », précise la police, sur les dents. Des policiers sont blessés. Des civils aussi. Le président malien Amadou Toumani Touré qui se tient informé des événements laisse tomber ce lundi à trois heures du matin (TU) son boubou, pour un somme rapide. Les îlots de contestations se poursuivent dans la capitale.

Lundi matin, Bamako tétanisé, se réveille avec la gueule de bois. La ville est méconnaissable, même si les services de la voierie avaient déjà tenté de faire disparaître les traces des violences. Parole aux analystes, l’unanimité est faite sur un point : parmi les manifestants, il y avait des vandales, des casseurs. Sur les défaillances des forces de l’ordre qui n’ont pas pu contenir la foule, ce jeudi, le président de la République Amadou Toumani Touré vient de limoger des directeurs généraux de la Police, de la Gendarmerie et de la sécurité d’État. D’autres « têtes devront tomber », selon des sources proches de la présidence de la République.

Sur cette flambée « soudaine » de violence, les commentaires vont également bon train. Ainsi, dans un communiqué, le Parena, formation politique dont le ministre de la Jeunesse est membre donne le ton. Condamnant « cette vague de violence », le parti affirme dans un communiqué : « les actes d’émeute posés à l’issue du match Mali-Togo vont bien au-delà d’une simple manifestation de dépit liée à une défaite sportive ».

« Il sont aussi l’expression probable d’un désespoir et d’un sentiment d’hostilité envers l’État et ses symboles. Ils sont enfin l’expression d’une jeunesse désemparée, confrontée aux difficiles réalités de la vie et dont le désarroi exprimé de cette manière, interpelle sur le devenir de notre pays », poursuit le même communiqué. De son côté le gouvernement malien dans un communiqué a « déploré » cette flambée de violence, avant d’annoncer que les auteurs seront poursuivis conformément aux lois de la République.

Autre réaction, celle de M. Balla Konaré, professeur de droit à l’Université de Bamako. Selon lui, « à la crise sportive » se sont greffées plusieurs autres crises. « Les jeunes ont également manifesté contre le chômage, l’unanimisme politique ambiant avec l’impression que les politiques ne s’occupent pas assez d’eux. Les jeunes ont aussi pesté contre la crise économique, la crise scolaire et universitaire. C’est un signal que le gouvernement doit prendre au sérieux ». Le professeur Konaré voit par ailleurs dans la destruction de certains bars et petits hôtels, la main « d’intégristes religieux » qui estiment « qu’une dépravation de plus en plus grande est en cours au Mali ». Selon lui, depuis les manifestations du 26 mars 1991, qui ont balayé l’ancien parti unique, jamais Bamako n’a connu une situation aussi insurrectionnelle qu'au cours des émeutes du 27 mars 2005. « Au Mali, termine-t-il, il y a eu un 26 mars 1991, et désormais un 27 mars 2005 ».


par Serge  Daniel

Article publié le 31/03/2005 Dernière mise à jour le 31/03/2005 à 16:55 TU