Arts
Les nouveaux appartements de la Joconde
Léonard de Vinci, La Joconde, musée du Louvre
(© RMN/Lewandowski - Le Mage)
Sans émotion particulière, mais entourée de moult précautions, La Joconde a donc quitté, dans la nuit de dimanche à lundi, la triste salle Rosa où elle séjournait depuis 2001. L’oeuvre majeure de Léonard de Vinci vient d’intégrer la grande salle dite des Etats construite sous Napoléon III pour servir de salle de réceptions lors des cérémonies officielles du gouvernement. Haute de quelque 13 mètres sous une verrière qui assure une lumière naturelle zénithale, cette salle de 840 m2 a entièrement été rénovée par l’architecte muséographe d’origine péruvienne Lorenzo Piqueras. Les travaux, s’élevant à 4,81 millions d’euros, ont en quasi totalité été financés par une chaîne de télévision privée japonaise.
Vincent Pomarède, conservateur en chef, et son équipe ne voulaient absolument pas entretenir le mythe et isoler le tableau dans une salle qui lui aurait été spécialement consacré. Face au portrait de Monna Lisa («Madame Lisa», épouse d’un marchand de soie florentin nommé Francesco del Giocondo), le plus grand tableau du Louvre, les Noces de Cana (1528-1588) la regarde et partage le succès. Les deux chefs d’œuvre, de Léonard de Vinci et de Véronèse, se tiennent à une distance de vingt-huit mètres l’un de l’autre, et tiennent chacun une place d’honneur au sein de l’ensemble. La cohérence de la salle est construite autour d’une célébration de la peinture italienne du XVIe siècle, période au cours de laquelle l’école de peinture vénitienne atteint son apogée.
Déménagement de La Joconde de la Salle Rosa à la Salle des Etats rénovée (réaccrochage)
«Les deux tableaux vedettes de la salle ont été inscrits dans un ensemble pensé et organisé(…)»
(© Musée du Louvre/P.Ballif)
De fait, comme le souligne Jean Habert, conservateur en chef chargé de cette peinture, il fallait «inscrire au mieux (le tableau) dans le circuit chronologique de la peinture italienne, dont la ‘colonne vertébrale’ est, depuis fin 1997, la Grande galerie». Il fallait cependant résoudre les problèmes de flux des visiteurs tout en restant cohérent. Les visiteurs auront donc le loisir, avant d’accéder à cette nouvelle salle, d’admirer les autres œuvres de Léonard de Vinci. «Les deux tableaux vedettes de la salle ont été inscrits dans un ensemble pensé et organisé. Les toiles y sont réparties en deux espaces distincts, selon qu’il s’agit de petits ou de grands formats» sur un fond de mur patiné couleur terre de sienne en parfaite harmonie avec les cadres anciens.
Vincent Pomarède attire l’attention sur la transition ménagée par deux toiles clefs du Titien, le Concert champêtre (vers 1509) et le Couronnement d’épines (1542-1543). «Dans la première toile citée, Le Titien, tout en conservant la pose de trois quarts des personnages, pose perfectionnée par Giorgione -plus vivante que la vision frontale ou de profil héritée du XVe siècle-, élimine le premier plan hérité de Bellini. La seconde toile du Titien est quant à elle symbolique de la singularité vénitienne qui cherchait à se démarquer du naturalisme intimiste hérité de Giorgione, et à évoluer vers le maniérisme». Dans cet ensemble, la Joconde se distingue «résumant les leçons apprises par Léonard de Vinci en Toscane, ses travaux sur l’optique, l’espace et la lumière». Moderne, le portrait de la femme est présenté de face, il regarde le visiteur, lui sourit, et le premier plan est supprimé.
La Joconde a-t-elle donc gagné à déménager ?
Réouverture de la salle des Etats rénovée, avril 2005 (© Musée du Louvre / E.Revault) |
La Joconde a donc déménagé, mais est-ce un mieux, on peut se le demander. De jouissance esthétique, peu ou très gâchée, car il est bien difficile de se concentrer sur le fameux sfumato, l’effet de brume à l’infinie subtilité qui a participé à la réputation de l’œuvre -considérée par les historiens d’art comme l’œuvre de chevet du peintre. Bienheureux celui qui, dans de telles conditions, peut s’enorgueillir d’avoir discerné les couches légères de glacis, si peu chargées de pigments, qui confèrent au tableau toute sa transparence et sa délicatesse d’exécution.
Alors, pour se consoler, le visiteur devra donc considérer que le choix de la scénographie a deux grands mérites : celui de réorganiser le sens des visites, de réduire les files d’attente, et d’assurer une meilleure circulation autour du tableau -si internationalement renommé qu’il attire quelque 90% des six millions de visiteurs annuels du Louvre ; Et celui d’assurer une sauvegarde du patrimoine culturel pour la postérité.
En effet, le support de la peinture, un mince panneau de peuplier épais de 13 mm, présentait l’an dernier une déformation supérieure. Au centre de recherche et de restauration des musées de France, des chimistes, des physiciens, des spécialistes du bois et de l’imagerie multi-spectrale se sont penchés sur ces signes de faiblesse, concluant à la nécessité d’une «conservation préventive», afin que les déformations n’évoluent pas. Dissimulé derrière la châsse de verre, c’est donc un véritable arsenal technologique qui a été déployé pour assurer à la belle dame un environnement thermo-hygrométrique stable et lui garantir des conditions de conservation optimales.
par Dominique Raizon
Article publié le 06/04/2005 Dernière mise à jour le 06/04/2005 à 18:03 TU