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Cambodge

Il y a trente ans, Phnom Penh tombait

Le leader des Khmers rouges, le «grand frère numéro un» Pol Pot, est mort en 1998 dans l’un des bastions de la guérilla qu’il a continuée à diriger jusqu’à sa disparition.(Photo : AFP)
Le leader des Khmers rouges, le «grand frère numéro un» Pol Pot, est mort en 1998 dans l’un des bastions de la guérilla qu’il a continuée à diriger jusqu’à sa disparition.
(Photo : AFP)
Le 17 avril 1975, de jeunes soldats Khmers rouges, uniforme noir ou kaki poussiéreux et casquette Mao, pénètrent sans un coup de feu dans la capitale Phnom Penh, désertée par les forces du maréchal Lon Nol. Ils entreprennent alors d’évacuer la ville de ses habitants, acte fondateur du régime de terreur que Pol Pot et ses lieutenants vont instaurer dans le pays. «La glorieuse révolution» du Kampuchéa démocratique va en trois ans, huit mois et vingt jours de pouvoir absolu décimer près de 20% de la population cambodgienne. Trente ans après la chute de Phnom Penh, aucun des responsables de ce génocide n’a encore été jugé.

Gangrené par la corruption, abandonné par son principal dirigeant le maréchal Lon Nol –qui a fui le pays dès le 1er avril– et incapable de faire face à l’anarchie générale, le régime qui a renversé le roi Sihanouk cinq ans plus tôt avec l’aide des Etats-Unis, vit en cette journée du 17 avril 1975 ses dernières heures. Assiégées depuis plusieurs mois par quelque 20 000 combattants Khmers rouges, les forces gouvernementales sont à bout de résistance et n’attendent qu’un signe pour abandonner leurs armes. Elles le feront d’ailleurs avant même l’arrivée des troupes de Pol Pot qui ne pénètrent dans la capitale qu’en fin de matinée de ce jeudi. Faméliques –certains d’entre eux combattent depuis près de cinq ans–, vêtus d’uniformes noirs ou kakis, lourdement armés, les Khmers rouges ne rencontrent aucune résistance dans la ville asphyxiée par le flot de réfugiés qui en cinq ans de guerre a triplé le nombre de ses habitants.

Dans un premier temps soulagée –«c’est la liesse générale jusqu’à dix heures. La guerre est finie. Les gens étaient très heureux, ils allaient enfin rentrer chez eux», se rappelle le missionnaire François Ponchaux en poste à Phnom Penh–, la population déchante rapidement. Les soldats Khmers rouges prennent en effet très vite position à tous les carrefours de la capitale, contrôlent les passants, fouillent les voitures. Puis à l’aide de mégaphones, leurs chefs appellent la population à quitter la ville. Sous le prétexte d’un bombardement américain imminent qui n’aura en réalité jamais lieu, Phnom Penh est vidée de ses deux millions d’habitants. «On a vu un spectacle absolument inouï, inoubliable : c’est tous les blessés, les malades qui quittaient les hôpitaux. Ce qui ne partaient pas, on leur lançait des grenades», se souvient François Ponchaux. Femmes en couches, invalides, blessés sous perfusion et opérés récents doivent quitter leur lit pour la campagne environnante. Puis c’est au tour de tous les citadins. Les vieillards et les malades qui ne peuvent suivre sont abattus sur place. «La glorieuse révolution» du Kampuchéa démocratique est en marche. Pour les idéologues khmers rouges, le Cambodge doit être purgé de tous ses vices pour que puisse naître un «peuple nouveau».

Trois ans, huit mois et vingt jours de terreur

Sous la chape de l’Angkar Loeu, «l’organisation suprême», le Cambodge est, pendant trois ans, huit mois et vingt jours transformé en un immense camp de travail forcé dans lequel des centaines de milliers de personnes meurent de faim, d’épuisement et de maladie sous l’œil implacable des soldats illettrés et fanatisés de l’armée de Pol Pot. Le «frère numéro un» veut en effet bâtir à la pointe du fusil «une société communiste idéale», construire un homme nouveau dans une société de type rural rigoureusement égalitaire. Avec une poignée de partisans –dont Khieu Samphan, le président du Kampuchéa démocratique, Nuon Chea, le numéro 2 des Khmers rouges ou encore Ta Mok, surnommé «le boucher» pour les massacres qu’il a organisés–, il veut mener sa révolution bien plus loin que ne le prévoit la ligne pourtant dure choisie par le Parti communiste chinois. L’Angkar Loeu impose ainsi progressivement l’élimination de la famille, l’abolition de l’argent et de la religion –près de 60 000 moines bouddhistes seront exécutés–, et bouleverse jusqu’au langage et aux rapports sociaux et humains. Pol Pot veut ramener la millénaire civilisation khmère à «l’année zéro» où il n’y a plus de place pour l’individu. Il veut retourner à «la pureté originelle du grain de riz».

Les premières victimes de la folie meurtrière des Khmers rouges sont les représentants du régime de Lon Nol. Hauts cadres, soldats et fonctionnaires sont liquidés. Puis vient le tour des citadins considérés comme «pervertis par la civilisation impérialiste» américaine. A Phnom Penh, dans le centre de tortures de Tuol Sleng –aujourd’hui transformé en musée–, près de 15 000 hommes, femmes et enfants sont sommés de confesser être à la solde de la CIA, du KGB ou de l’ennemi héréditaire vietnamien. Seules sept personnes en ressortiront vivantes. En moins de quatre ans de pouvoir sans partage, l’Angkor Loeu enverra un million sept cent mille Cambodgiens dans «les champs de la mort». 

Mais trente ans après la chute de Phnom Penh, le Cambodge peine toujours à se remettre de la perte de ses élites. Il ne s’est toujours pas réconcilié avec son passé et refuse d’enseigner le génocide khmer dans ses écoles. Pire encore, aucun des responsables de l’un des massacres les plus traumatisants du XXe siècle n’a jusqu’à présent été jugé. Le «grand frère numéro un» Pol Pot est mort en 1998 dans l’un des bastions de la guérilla qu’il a continué à diriger jusqu’à sa disparition. Ses principaux lieutenants Khieu Samphan et Nuon Chea, qui se sont ralliés il y a sept ans au gouvernement à la faveur d’une loi d’amnistie, vivent toujours en liberté et sont considérés comme des héros par leurs anciens soldats. Seul Ta Mok «le boucher» et Douch, un autre tortionnaire, sont aujourd’hui sous les verrous dans l’attente d’un procès que les Nations unies ne désespèrent pas de pouvoir mettre en place dans l’année qui vient.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 17/04/2005 Dernière mise à jour le 18/04/2005 à 12:02 TU

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Stéphanie Gée

Correspondante de RFI à Phnom Penh

«Les Cambodgiens ne courent pas après de date commémorative mais d’avantage après un procès qui pourra leur rendre justice.»

Julien Rivet

Avocat, cofondateur de l'association Justice pour le Cambodge

«Il faut bien comprendre que dans l'administration cambodgienne il ya des anciens Khmers rouges, il y en a même au gouvernement.»

Jean Lacouture

Ancien correspondant du journal Le Monde et du magazine le Nouvel Observateur

«Pour moi, pendant longtemps, les khmers colons qualifiés de rouges étaient d’abord un mouvement de résistance contre un gouvernement fabriqué par les Américains.»

La marche du monde

Par Valérie Nivelon

«J'ai vécu la prise de Phnom Penh.»

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[16/04/2005]