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Thaïlande

Des travailleurs birmans contraints à l’illégalité

Beaucoup d'entreprises thaïlandaises emploient des ouvriers birmans sans permis de travail, une main d’oeuvre nettement moins payée !(Photo : Pauline Garaude/RFI)
Beaucoup d'entreprises thaïlandaises emploient des ouvriers birmans sans permis de travail, une main d’oeuvre nettement moins payée !
(Photo : Pauline Garaude/RFI)
Plus de 20 000 travailleurs birmans vivent à Mae Sot, ville du nord de la Thaïlande à 6 km de la frontière. La moitié d’entre eux travaille illégalement, sans permis de travail, les rouages administratifs les maintenant hélas dans cette situation...

Parallèle à l’autoroute allant de la frontière à Mae Sot puis desservant la province de Tak, une route tranquille et sinueuse traverse les campagnes. «C’est par ce sentier que les Birmans essaient de rentrer clandestinement en Thaïlande», explique William, 23 ans, installé ici depuis dix ans. «Avec la guerre entre minorités et militaires birmans, des villages régulièrement incendiés, une population constamment opprimée, aucune école, aucun commerce, aucun emploi, aucun avenir... Les gens restent pauvres et ne peuvent rien espérer. Mais ici, c’est le rêve d’une vie meilleure». Alors qu’il accélère, sa moto vrombit et trois personnes courent se cacher dans les buissons. «Ce sont des Karens. Ils ont peur que ce soit la police.» Parmi cette minorité birmane vivant de l’autre coté de la frontière, quelques 500 personnes traversent chaque jour le «Pont de l’Amitié», les autorités délivrant un visa pour la journée. La moitié va tenter de rester... le quart seulement y parviendra.

«Notre travail paye notre illégalité»

«Pour la première fois, de juillet à octobre 2004, le gouvernement thaïlandais a facilité les procédures d’obtention du permis de séjour pour les birmans. Plus de 200 000 ont été enregistrés, dont 40 000 travailleurs», souligne Thet Paing, de la Yaung Chi Oo Workers Association - une association birmane de Mae Sot aidant à l’intégration des travailleurs migrants. «Mais le plus dur reste l’obtention du permis de travail. Il faut passer un examen médical qui coûte 1 900 baths et se présenter avec une attestation de l’employeur, ce qui suppose d’avoir déjà trouvé un travail «officiel». Puis il faut payer le permis de travail pour 3 mois, 6 mois ou un an, les prix allant de 450 baths à 1800 baths . Les employeurs ne paient pas forcément le permis et la plupart des birmans vivent d’abord de petits boulots pour avoir de quoi acheter leur permis par la suite.». Résultat : les trois quarts des travailleurs sont clandestins. Comme William, en possession de son permis de séjour mais sans permis de travail qu’il essaie cependant d’avoir depuis plus de cinq ans. « Le permis coûte cher et j’ai trois personnes à charge. Je suis donc obligé de travailler. Et clandestinement bien sûr ! Tant que je n’ai pas économisé, comment acheter ce permis ? Et comment économiser si je ne travaille pas ? C’est le cercle vicieux», dit-il, désespéré. Pour survivre, il est conducteur de «moto-taxi». Avec 2 000 baths par mois, il lui est impossible d’économiser, ou le peu qu’il arrive à mettre de côté, lui  sert hélas à sortir de prison quand il se fait prendre par la police. «La dernière fois que je me suis fait arrêter, je suis resté 45 jours, jusqu’à ce que j’amasse 500 baths. Je n’avais que 70 d’économie et mon grand frère a récolté le reste partout où il a pu ! Le plus décourageant, c’est que votre argent vous sert à payer votre illégalité alors que vous travaillez pour essayer d’être légal !».

Shah, elle, a plus de chance. Arrivée l’an dernier en Thaïlande, elle a trouvé un travail dans un hôtel de Mae Sot où sa patronne lui paie son permis de travail tous les ans, en plus des 3 000 baths de salaire mensuel. Pour Kasin, qui travaille officiellement dans une entreprise de bois, le patron lui avance le permis. «Tous les mois, je le rembourse de 500 baths sur mon salaire», témoigne-t-il. Cependant, même légaux, les travailleurs birmans restent sur la sellette. «Ceux qui étaient légaux hier, peuvent se retrouver illégaux du jour au lendemain. Beaucoup de patrons licencient de manière abusive et conservent le permis de travail, rattaché à l’employeur et à l’emploi qu’il propose. Tout est donc à refaire... Alors parfois, ils préfèrent rester dans l’illégalité et payer des amendes de temps en temps», explique Thet Paing, déplorant ainsi «le nombre croissant de travailleurs illégaux».

Les trafiquants

Et il y a ceux qui vivent en Birmanie et viennent travailler illégalement à Mae Sot pour la journée. Comme Jama, 33 ans, qui vient deux fois par semaine vendre ses rubis au marché de pierres précieuses. Ce matin, il a apporté deux rubis montés en bague. «J’achète les bijoux à Miawaddy, village birman à 4km de la frontière, et viens les revendre ici. Je gagne bien plus que si je restais à Mae Sot sans avoir l’inconvénient de travailler et de vivre caché !», lance-t-il. Pour une bague achetée 1 200 baths, Jama peut en tirer au mois 2 000. Maung, lui, est dealer et vient une fois par semaine vendre des méthamphétamines. «J’achète 100 baths une pilule à Miawaddy et la revend 200. Mes acheteurs sont souvent des dealers qui revendent localement alors quand je viens, je fournis au moins sept personnes qui m’en prennent dix. Ca fait des bons mois !». Hélas, pour de nombreux Birmans, le trafic de pierres ou de drogue est bien plus lucratif qu’un travail légal. «D’où la progression inquiétante de trafiquants à Mae Sot», conclue Thet Paing.


par Pauline  Garaude

Article publié le 18/04/2005 Dernière mise à jour le 18/04/2005 à 08:17 TU