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Centrafrique

OPA sur les suffrages du premier tour

André Kolingba (à g.) négocie aujourd’hui au prix fort l’usufruit par Bozizé (à dr.) de ses 16,36% de suffrages du premier tour. (Photos: AFP)
André Kolingba (à g.) négocie aujourd’hui au prix fort l’usufruit par Bozizé (à dr.) de ses 16,36% de suffrages du premier tour.
(Photos: AFP)
François Bozizé entend bien consolider sa place dans le fauteuil présidentiel en transformant en majorité les 42,97% de suffrages recueillis au premier tour du scrutin, le 13 mars dernier. Par décret, il vient de renvoyer au 8 mai le deuxième tour, initialement envisagé pour le 1er mai. En attendant, le président sortant négocie sa victoire finale contre son principal challenger, Martin Ziguélé, l’ancien Premier ministre du président renversé en mars 2003, Ange Félix Patassé, écarté de la course présidentielle. A la tête d’une Union des forces vives de la Nation (UFVN), Martin Ziguélé est arrivé deuxième, avec 23,53% des voix, devant l’ancien président André Kolingba. Ce dernier négocie aujourd’hui au prix fort l’usufruit par Bozizé de ses 16,36% de suffrages acquis au premier tour.

Le premier tour de la présidentielle n’a pas seulement fait le tri des candidats, il a aussi fait monter les enchères autour de leurs scores. Le mieux placé parmi les perdants, l’ancien président Kolingba en escompte une retraite confortable, le moment venu, c’est-à-dire plus tard car, dans l’immédiat, c’est un véritable partage du pouvoir qu’il réclame. C’est en tout cas ce qui ressort du Cahier de charge en forme de contrat d’assurance que quelque main trempée dans le fiel vient de mettre sur la place publique. Dans ce document, le général Kolingba exige notamment que la future primature revienne à son Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) en même temps que neuf portefeuilles ministériels parmi lesquels celui de l’Economie. Et cela, quel que soit le résultat des législatives qui doivent accompagner le deuxième tour de la présidentielle.

Kolingba demande cinq milliards de CFA

Pour placer ses obligés, le général Kolingba revendique également une demi douzaine de préfectures, une vingtaine de sous-préfectures et des sinécures militaires dans l’état-major. Pour lui-même, André Kolingba demande un bataillon de trente homme, sans doute pour protéger le pactole de cinq milliards de francs CFA (près de 8 millions d’euros) qu’il revendique au titre d’une «compensation financière». Celle-ci paraît devoir rémunérer son appui à Bozizé, le prix des voix qu’il apporte dans la corbeille. Il exige en effet par ailleurs des réparations pour ses biens pillés ou détruits sous Bozizé. Outre la «cession» de ses électeurs, André Kolingba envisage à moyen et long terme de poursuivre en faveur de Bozizé une lucrative mission de communication, «tant au plan national qu’international». Bien sûr, il n’oublie pas que la République est censée loger, nourrir, blanchir, transporter et protéger, à vie, l’ancien président qu’il est devenu. Mais Kolingba suggère en sus la création d’un poste de «médiateur» taillé à ses mesures. Cette fonction permettrait de justifier des enveloppes supplémentaires pour faire tourner l’entreprise Bozizé & Kolingba.

Cible de toutes les alliances ou mésalliances en cours de tractation, Martin Ziguélé continue pour sa part à battre campagne pour «créer les conditions d'un véritable renouveau démocratique au travers d'un véritable gouvernement d'union nationale». Lui-aussi a tenté, en vain, de se rallier Kolingba, Jean-Paul Ngoupandé (5,08 des voix) ou Charles Massi (3,22%). Les scores des deux derniers suffiraient en effet, du moins sur le papier, à aider Bozizé à franchir la barre des 50%. Pour sa part, le pasteur José Binoua (1,52% des voix) s’est retiré de l’Union, indiquant qu'il ne donnerait aucune consigne de vote pour le second tour. Au final, il apparaît que ces forces d’appoint n’ont pas vraiment leur place dans la cour des Grands. Le RDC de Kolingba avait en tout cas très vite annoncé la couleur de ses intentions de vote, annonçant début avril des contacts fructueux avec Bozizé. Ce dernier avait d’ailleurs lancé ses premiers appels d’offres au sortir des urnes, agitant le spectre de l’ennemi commun, Patassé.

«Un soutien du RDC au candidat Ziguélé serait totalement absurde après les exactions dont ont été victimes les partisans d'André Kolingba au lendemain du coup d'Etat manqué du 28 mai 2001» qui avait vu les sbires de Patassé lancer une chasse aux Yakoma, explique le porte-parole du parti de Kolingba. Les révélations sur ses marchandages avec Bozizé n’étaient sans doute pas au menu de leur programme commun. Elles en disent long sur la manière dont Kolingba conçoit son intéressement à la vie politique du pays. Elles donnent aussi la mesure des ambitions de Monsieur Propre de Centrafrique affichées par Bozizé. Que ce genre de petits arrangements entre anciens ennemis puissent avoir cours ne surprend guère. Dans ce pays aux arriérés de salaires abyssaux, certains continuent de compter sur les dividendes du rapport des forces communautaires (souvent militarisées). Les bailleurs de fonds apprécieront.

Il serait toutefois difficile pour le général Bozizé de se raviser sur cette alliance, au risque de voir le général Kolingba négocier autrement son assurance-vie. Ce dernier sera peut-être quand même incité à ramener ses exigences à des proportions plus modestes et surtout moins ostentatoires. Donné gagnant, Bozizé s’apprête à faire le plein des voix, avant même le 8 mai.


par Monique  Mas

Article publié le 20/04/2005 Dernière mise à jour le 20/04/2005 à 17:55 TU