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Cinéma africain

La politique sous le feu des projecteurs

La discrétion et l'économie du numérique ont permis au cinéaste Moussa Touré de réaliser un document poignant sur les femmes victimes de viols durant la guerre&nbsp;au Congo Brazzaville : <EM>Nous sommes nombreuses.</EM>(Photo : Elizabeth Lequeret)
La discrétion et l'économie du numérique ont permis au cinéaste Moussa Touré de réaliser un document poignant sur les femmes victimes de viols durant la guerre au Congo Brazzaville : Nous sommes nombreuses.
(Photo : Elizabeth Lequeret)
Fascinés par les grands mythes de l’Afrique plus que par ses réalités, sans doute aussi tétanisés par l’œil des censeurs, les cinéastes africains ont longtemps boudé les grands sujets politiques. Certes, le -fugace- printemps démocratique africain donna lieu, au début des années 1990, à une première salve de fictions et documentaires engagés. Aujourd’hui, c’est plutôt la guerre et ses conséquences meurtrières qui forment le cœur et la charpente de nombreux films. A l’instar de Nous sommes nombreuses, du Sénégalais Moussa Touré, et de La nuit de la vérité, de la Burkinabè Fanta Nacro, programmés cette année par le festival québécois Vues d’Afrique.
De notre envoyée spéciale à Montréal

Le public occidental a pu récemment découvrir une poignée de films, documentaires ou fictions, entretenant des rapports étroits à la politique africaine. Rwanda : après, Le cauchemar de Darwin, Hôtel Rwanda : autant de projets –produits et réalisés par des Européens- affrontant de façon plus ou moins frontale la réalité de l’Afrique contemporaine. Vues d’Afrique vient aujourd’hui confirmer que le phénomène trouve son équivalent sur le continent : la politique est désormais le sujet de prédilection du cinéma africain. La chose surprend d’autant plus que cinématographies noires et politique ont toujours entretenus des rapports plus qu’ambigus. Ciseaux des censeurs locaux, réticence des fonds de soutien occidentaux, les raisons du désamour sont faciles à comprendre : le cinéma africain des années 1980 et 1990 s’est toujours tenu à bonne distance de la politique, à l’exception notable de Souleymane Cissé. De Finye (1982, fiction mettant en scène une révolte d’étudiants contre les militaires) à Waati qui, en 1994, peignait une fresque de l’Afrique contemporaine, via les tribulations d’une jeune Sud-Africaine noire, le cinéaste malien, a été l’un des seuls à traiter, avec une remarquable constance, la politique de son pays de façon incisive et lucide.

Quand le mouvement s’est-il inversé ? Si la question reste ouverte, le phénomène, en revanche, relève désormais de l’évidence : la politique, ses perversions et conséquences sont désormais au cœur d’un nombre croissant de films. Ce que ceux-ci révèlent n’a rien de gai : guerres civiles, imminentes ou passées, massacres, génocides et crises en tous genres. Dans La nuit de la vérité, Régina Fanta Nacro met en scène, dans le périmètre ultra-surveillé d’une demeure présidentielle, la tentative laborieuse de réconciliation de deux chefs d’Etats, après un génocide qui a ensanglanté leurs deux pays. Auteur de courts métrages plein d’humour, Nacro en a surpris plus d’un par la brutalité de son scénario, qui transforme peu à peu les salons bourgeois de la présidence en petit théâtre des horreurs, dans un pays qui pourrait être le Rwanda autant que la Côte d’Ivoire. Sa fiction ne recule devant aucune violence et ordonne une subtile gradation dans l’angoisse et dans l’horreur.

La révolution des petites caméras

Les documentaires aussi témoignent de cet intérêt, depuis que les petites caméras et l’intimité qu’elles permettent –leurs dérisoires coûts de tournage, aussi- ont lancé nombre de cinéastes sur les pistes de l’essai politique ou du document engagé. C’est le cas de Nous sommes nombreuses, de Moussa Touré : il est clair que seule la proximité et le temps passé auprès de ses personnages, a permis au cinéaste sénégalais de livrer un document aussi poignant et digne sur un sujet brûlant : les femmes congolaises victimes de viols pendant la guerre.

Plus polémiste, le Camerounais Jean-Marie Téno, continue de tracer le portrait de l’Afrique contemporaine, gabegie des élites et persistance du fait colonial. Dans Le Malentendu colonial, il analyse avec acuité les modalités, l’impact et les conséquences –y compris contemporaines- des missions que l’Allemagne dès la fin du XIXe siècle, mandata en Afrique pour apporter la parole de Dieu chez les peuples noirs. Sorcière la vie, de Monique Phoba, cinéaste belge d’origine camerounaise, creuse lui aussi la piste de l’essai cinématographique. Ce documentaire de 52 minutes mêle avec habileté et profondeur réflexion sur la sorcellerie en Afrique et interrogations des jeunes noirs de la diaspora, ceux que leur parents, par souci d’intégration, coupèrent volontairement de leur culture d’origine. Pour ceux-ci, le carnet du retour au pays natal prend souvent, sinon des allures de cauchemar, du moins celle de mauvais rêve. La voix off mélancolique de Monique Phoba, dédiant au début du film son projet à son père, «très attaché à ses racines, mais qui pourtant, ne nous a rien transmis», résonne longtemps après la projection.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 21/04/2005 Dernière mise à jour le 21/04/2005 à 15:24 TU