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Arabie Saoudite

Le calvaire des domestiques asiatiques

Manifestation de protestation contre les mauvais traitements infligés aux femmes indonésiennes en Arabie Saoudite.(Photo: AFP)
Manifestation de protestation contre les mauvais traitements infligés aux femmes indonésiennes en Arabie Saoudite.
(Photo: AFP)
En Arabie Saoudite, les domestiques originaires d’Asie subissent de plus en plus de violences de la part d’employeurs rarement punis. Face à cette dérive alarmante et à l'inaction du pouvoir saoudien, l’Indonésie tente de réagir.

De notre correspondant à Doha

 Le calvaire de Sitri Iskandar, jeune indonésienne de 23 ans originaire de Cianjur, dans la province de Java, s’est arrêté lorsque l’avion pour Djakarta a quitté Djedda. Quelques minutes après le décollage l’employée de maison s’est s’évanouie, «trop faible pour supporter l'air conditionné.» Lors de l'escale au Qatar, elle a été transportée aux urgences de l'hôpital central de Doha. Là, les médecins ont pu retirer son abaya noire –la longue robe obligatoire en Arabie Saoudite– et l’ausculter. Diagnostique: «des cicatrices et des hématomes partout sur le corps, consécutifs à des brûlures et des coups répétés, un état de malnutrition et d’épuisement physique et moral avancé

Tortures et mutilations

Sitri Iskandar a atterri en Arabie Saoudite en septembre 2004, après avoir été recrutée en Indonésie pour travailler dans une famille de professeurs saoudiens vivant à Taëf. Aînée d’une de quatre enfants, dépourvue d’éducation, elle a accepté cet emploi pour le salaire: 150 euros par mois. Mais quelques semaines après son arrivée, le cauchemar a commencé. La petite bonne aux cheveux courts et au corps de fillette est devenue l'exutoire de la maîtresse de maison. Puis de ses fils. Tous les jours, des coups. Des brûlures aussi, «au fer à repasser, à l’eau ou l’huile bouillante, sur le corps, sur le visage», murmure la jeune femme sur son lit d’hôpital.

L’enfer a duré 8 mois dans la maison saoudienne pour Sitri Iskandar, enfermée dans l'obscurité quand elle ne travaillait pas. Dans son malheur, elle a pourtant eu de la chance d’arriver jusqu’au Qatar. Pris en charge par les autorités locales et son ambassade, elle a reçu le soutien de toute la communauté indonésienne qui a rassemblé 10 000 dollars pour «qu’elle puisse rentrer chez elle, se faire soigner et retrouver un peu de dignité
Mur Niyati, elle, est encore en Arabie Saoudite. Entrée fin mars aux urgences d’un hôpital de Riyad, cette jeune femme de 22 ans originaire de l’île de Sumbawa a failli être amputée des mains et d'un pied à cause de la gangrène. Battue et torturée pendant 18 mois, ses coupures et ses brûlures s'étaient infectées. «Comme la famille ne supportait plus l’odeur, on m’a installée dans une cabane à l’extérieur, enfermée», a-t-elle raconté aux diplomates indonésiens venus lui rendre visite.

Dans un autre établissement de la capitale saoudienne, il y a encore Suniati Sujari. Elle aussi employée de maison. Elle aussi indonésienne. Elle aussi battue, torturée et violée. Son corps est brûlé à plus de 50% et ses parties génitales mutilées. La jeune femme est aujourd’hui dans le coma.

Impunité

«Nous enregistrons entre 10 et 15 plaintes chaque jour, rien qu’à Riyad, pour des cas de mauvais traitements, de harcèlement sexuel ou de salaires impayés», raconte Muhamed Sugiarto, fonctionnaire en poste dans la capitale saoudienne, «et encore, seule une minorité des victimes a la possibilité de venir jusqu’à nous.» «Quand nous sommes informés, ce qui n’est pas systématique, nous contactons les autorités. Dans la plupart des cas, elles se contentent d’un interrogatoire, mais cela ne se termine jamais devant un juge», ajoute-t-il, citant l’exemple d’une jeune femme battue à mort à Djedda et dont les employeurs s'en sont sortis en payant 15.000 dollars de dédommagement à la famille.

Côté saoudien, on affirme le contraire. «Tout est pris au sérieux. Nous avons enquêté sur 7000 plaintes en 2003», a affirmé le ministre du travail, Ghazi al-Gossaibi, à la presse locale. L’augmentation permanente de ces violences, constatée par les diplomates indonésiens, prouve pourtant le contraire. Devant l’inaction des autorités du royaume, qui préfèrent nier l’évidence en parlant de cas isolés –elles se seraient même plaintes auprès du Qatar après la médiatisation de l’affaire de Sitri Iskandar- l’Indonésie tente de réagir.

En février, Djakarta a ainsi officiellement interdit le recrutement des domestiques dans tout le Moyen-Orient, en particulier dans les Etats du Golfe, «bien que la situation soit tout à fait différente au Koweït, à Bahreïn ou au Qatar», admet Gulfan Afero, premier secrétaire de la représentation indonésienne dans ce dernier émirat. «Depuis le début du mois d’avril, tous nos ressortissants doivent signer un contrat avant leur départ, avec noms, adresse et numéros de téléphone des employeurs. A leur arrivée, ils font enregistrer ce contrat auprès du consulat, ce qui nous permet de savoir où ils travaillent et d'identifier rapidement leurs patrons», explique ce diplomate désemparé qui conclut froidement, «c'est surtout pour dissuader


par Hugo  Telli

Article publié le 24/04/2005 Dernière mise à jour le 24/04/2005 à 16:01 TU