Arabie Saoudite
Le « cauchemar » des immigrés dans le royaume
(Photo : AFP)
L’esclavage a été officiellement aboli en Arabie Saoudite en 1962, mais à en croire le rapport de 135 pages que vient de publier l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rigths Watch, la réalité d’aujourd’hui n’est guère différente pour de nombreux travailleurs immigrés qui contribuent au développement du royaume.
Sur quelque 23 millions d’habitants, l’Arabie Saoudite compte environ sept millions de travailleurs étrangers indispensables pour faire tourner l’économie du pays. Les autorités ont beau réaffirmer depuis plus de vingt ans leur volonté de « saoudiser » les emplois, rien n’y fait : la main d’œuvre étrangère demeure prépondérante dans la population active. Venus pour la plupart d’Asie, ils ont fui la pauvreté de leur village à la recherche d’un emploi rémunérateur leur permettant de faire vivre la famille laissée au pays. Partout dans le monde, la population immigrée souffre de discriminations et dispose de moins de droits que la population autochtone. Mais peu de situations approchent, même de loin, celle de l’Arabie Saoudite.
Dans le royaume wahhabite, toutes les discriminations légales sont au rendez-vous. S’y ajoutent des comportements individuels et collectifs qui aggravent cet état de fait. Par exemple, en Arabie, les non-musulmans n’ont pas le droit de célébrer leur culte et le prosélytisme est un délit sévèrement puni. Les femmes, quelle que soit leur nationalité, ont moins de droits que les hommes. Mais lorsqu’elles sont domestiques, il n’est plus question de droits, mais d’esclavage pur et simple. Certes, les lois en vigueur, bien qu’offrant une protection très réduites, empêchent en théorie certains excès. En pratique, la police et la justice saoudienne ont plus souvent tendance à tenir la victime pour coupable que son bourreau, lorsque la première est un travailleur étranger et le second un Saoudien.
Le cas des employées de maison est exemplaire : peu importe les promesses faites lors du recrutement par une agence de main d’œuvre à Dacca, Manille, Calcutta ou Bombay. Une fois sur place, en Arabie, la domestique appartient littéralement à son employeur qui confisque son passeport. Nombre d’employées de maison travaillent parfois plus de douze heures par jour, dorment à même le sol dans la cuisine ou la salle de bain, n’ont aucune intimité et n’ont pas le droit de sortir de la maison où leurs employeurs les tiennent recluse. Fréquemment, elles sont une esclave sexuelle pour le maître de maison. Bien que selon la loi saoudienne, le viol d’une employée soit un crime, en pratique, la police saoudienne refuse la plupart du temps de prendre la plaintes des rares domestiques qui ont l’audace de se plaindre. Pis : les plaignantes se voient souvent emprisonner et inculper pour fornication. Et lorsque l’une d’entre elles est enceinte à la suite d’un viol, elle est de même arrêtée et punie par la justice saoudienne, sans que son employeur violeur soit poursuivi.
Quelques cas réglés ne masquent pas l’effroyable situation des autresLorsque les termes du contrat de travail initial ne sont pas respectés, la justice saoudienne n’a guère l’habitude de rétablir le travailleur immigré dans ses droits. Lorsqu’il n’est pas emprisonné pour « fuite », il est tout simplement expulsé. Le plus souvent, les deux, l’un après l’autre. Il existe pourtant un bureau des plaintes au ministère du Travail qui, de façon croissante, donne satisfaction aux plaignants contre leur employeur. Encore faut-il que les principaux intéressés soient informés de son existence, qu’ils franchissent l’obstacle de la langue, et qu’ils soient suffisamment courageux pour prendre le risque de mécontenter davantage encore un employeur susceptible de prendre des mesures de représailles contre eux. Les quelques cas réglés de façon satisfaisante ne parviennent pas, aux yeux de Human Rights Watch, à masquer l’effroyable situation que connaissent la majorité des autres.
D’une manière générale, les travailleurs étrangers ont tout intérêt à éviter le système judiciaire saoudien, qui fonctionne sur la base d’aveux, souvent extorqués sous la torture, dans une procédure secrète n’obéissant à aucune norme internationale. Dans la quasi-totalité des cas, les consulats ne sont même pas informés de la détention de leurs ressortissants, contrairement à la loi internationale. Human Rights Watch s’attarde longuement sur le cas des condamnés à mort. Les étrangers constituent une proportion importante des exécutions publiques auxquelles procède le royaume chaque année. C’est ainsi qu’en 2001 et 2002, les étrangers ont représenté un peu plus de 40 % des personnes décapitées. Le nombre de ceux qui, condamnés à mort, attendent leur exécution est inconnu.
Les témoignages recueillis par l’ONG auprès d’anciens prisonniers ayant côtoyé des condamnés ou auprès de leurs familles sont proprement terrifiants : dans la quai-totalité des cas, les suppliciés n’ont découvert ce qui les attendait qu’au moment d’être emmenés sur le lieu de leur exécution ; ils ignoraient que le procès était terminé et qu’ils avaient été condamnés ; lorsqu’ils avaient eu l’assistance d’un avocat, le problème de la langue les empêchait de comprendre la procédure et on leur extorquait des aveux soit par la torture (ou la menace de torture) soit par la promesse que cela allait accélérer la solution de leur cas ; enfin, ils n’ont bénéficié d’aucune assistance consulaire, les autorités de leur pays n’étant avertis de leur incarcération le plus souvent qu’après l’exécution. Dans plusieurs cas rapportés, il apparaît clairement que des détenus exécutés pour trafic de drogue n’ont été arrêtés que parce qu’ils avaient le malheur de voyager avec un groupe d’immigrants parmi lesquels se trouvait un trafiquant. Exécutés pour le crime d’un autre.
Au terme de ce sombre tableau Human Rights Watch adresse un certain nombre de recommandations adressées au gouvernement saoudien, mais également au Conseil consultatif et aux agences des Nations unies et aux pays d’émigration. Ces derniers sont généralement très discrets dans la défense de leurs citoyens car ils dépendent souvent de l’aide financière saoudienne pour boucler leur budget et redoutent qu’une action spectaculaire de leur part n’aboutisse à fermer l’entrée du pays à leurs ressortissants au profit des États voisins.par Olivier Da Lage
Article publié le 16/07/2004 Dernière mise à jour le 16/07/2004 à 12:35 TU