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Burundi

Un ministre de l’Intérieur avant les communales

Le président de la transition burundaise, Domitien Ndayizeye (à droite), et le chef de l'ancienne rebellion, Pierre Nkurunziza, ont réglé à Pretoria la question du ministre de l'Intérieur, avant les élections du 3 juin prochain.(Photo : AFP)
Le président de la transition burundaise, Domitien Ndayizeye (à droite), et le chef de l'ancienne rebellion, Pierre Nkurunziza, ont réglé à Pretoria la question du ministre de l'Intérieur, avant les élections du 3 juin prochain.
(Photo : AFP)
Le 8 mai dernier, à Pretoria, une énième mission de conciliation sud-africaine a entendu le président Domitien Ndayizeye promettre d’accepter le ministre de l’Intérieur désigné par le chef de l’ancienne rébellion du Comité national pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), Pierre Nkurunziza. Le 22 mars dernier, au décès du ministre Simon Nyandwi, la vacance de ce poste sensible avait en effet jeté une ombre sur le calendrier des scrutins qui démarrent le 3 juin par l’élection, au suffrage universel, des 25 conseillers communaux de chacune des 130 circonscriptions du pays. Ces conseillers éliront des sénateurs qui éliront à leur tour un président, pour cinq ans, marquant ainsi la fin de la transition actuellement présidée par Domitien Ndayizeye. En vertu des Accords d’Arusha, ce dernier est exclu de la compétition.

Le président de la transition, Domitien Ndayizeye refusait le nouveau ministre de l’Intérieur que ses partenaires du CNDD avaient désigné, conformément au partage du pouvoir organisé par les accords de paix. Il se réclamait notamment de son rôle de garant du dosage ethnique convenu dans la Constitution et demandait au CNDD de lui laisser le choix entre trois noms. Le chef des anciens rebelles, Pierre Nkurunziza, s’obstinait. Il voulait imposer son directeur de cabinet, Joseph Ntakarutimana, un Tutsi issu du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), le parti auquel adhère toujours Domitien Ndayizeye et qui a par ailleurs accouché du CNDD-FDD. La scission s’est faite avec le passage à la lutte armée d’une partie du Frodebu, après l’assassinat, en octobre 1993, du premier président hutu du pays, Melchior Ndadaye. L’Histoire du Burundi a finalement ramené les anciens compagnons sur le même terrain politique sans vider pour autant leurs querelles de leadership. Une fois de plus, dimanche, Pretoria a tenté de le faire à leur place.

Certaines sources donnent un autre ancien du Frodebu, Jean-Marie Ngendahayo, un Ganwa (la lignée de l’ancienne monarchie), comme possible candidat du CNDD au ministère de l’Intérieur. Ministre de l’Information sous Ndadaye, Ngendahayo a ensuite servi le Frodebu comme ministre des Affaires étrangères du défunt président Cyprien Ntaryamira (mort en avril 1994 dans l’avion de son homologue rwandais Juvénal Habyarimana). Il avait conservé ces mêmes fonctions sous le président également issu du Frodebu, Sylvestre Ntinbantunganya. Jean-Marie Ngendahayo avait quitté le Burundi avant même la déposition de Ntinbantunganya par l’ancien président tutsi, Pierre Buyoya, en juillet 1996. Il était toutefois resté attaché au Frodebu pendant ses trois premières années d’exil en Afrique du Sud, où il avait fui les convulsions burundaises en juin 1995. Officiellement engagé dans les rangs du CNDD à partir de 1998, Jean-Marie Ngendahayo a quitté Johannesburg en 2002 pour se réfugier cette fois en Finlande. Pour sa part, il ne dément pas ceux qui le voient déjà ministre de l’Intérieur, chargé de la sécurité des scrutins à venir.

Frodebu et CNDD concurrents aux élections

La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a enregistré dimanche les dernières candidatures aux communales du 3 juin. Elle va maintenant procéder aux vérifications d’usage et examiner les éventuels recours, avant publication des listes définitives, le 17 mai. A en croire les «indiscrets» de Bujumbura, sur les 35 partis légalisés, cinq ont été capables de présenter des candidats dans presque chacune des provinces. Sans surprise, il s’agirait du Frodebu et du CNDD, du côté de ceux qui ont milité, civilement ou les armes à la main, contre l’ordre militaire instauré au lendemain de l’indépendance. Aujourd’hui, ils se font concurrence. En face, dans le camp des anciens tenants du pouvoir, se retrouvent, en ordre tout aussi adverse, l’ancien parti unique de Buyoya, l’Union pour le progrès national (Uprona), le Parti pour le redressement national (Parena) de l’ancien président Jean-Baptiste Bagaza et le Mouvement pour la réhabilitation du citoyen (MRC), un parti né en 2003 dans la mouvance d’un ancien ministre de l’Intérieur de Buyoya, le colonel Epitace Bayaganakandi, candidat malheureux à la première présidence de transition où il se présentait comme alternative à son ancien patron.

Reste la guerre larvée dont les victimes sont désormais imputées au seul Forces nationales de libération (FNL), le bras armé du Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu). Egalement infiltrées au Congo voisin, ces rebelles opèrent dans la région stratégique de la capitale, dans la province de Bujumbura rural. Fin avril, leur chef, Agathon Rwasa, a promis au président tanzanien, Benjamin Mkapa, de négocier, directement et sans plus de préalables, avec le gouvernement de transition, dans la perspective du processus électoral. C’était une première. Elle est restée sans suite, la question du ministre de l’Intérieur occupant tout l’espace politique burundais. Mais les FNL ne sortiront pas du bois sans garanties politico-militaires et sans les sièges qui vont avec. Les institutions de transition sont d’ailleurs censées leur avoir réservées des places. Mais l’entrée des anciens combattants des CNDD-FDD dans l’état-major de la nouvelle armée nationale a déjà provoqué des grincements de dents et des polémiques internes. Galonnés et soldats du rang devront pourtant se serrer un peu plus pour intégrer ceux des FNL. Sur le terrain politique, l’horizon, déjà présidentiel, est lui-aussi très encombré.    

«Je dirais que dans l'ensemble nous nous sommes entendus, notamment sur la question du ministre de l'Intérieur», déclarait, lundi, Domitien Ndayizeye, à propos de sa rencontre à Pretoria avec Pierre Nkurunziza. Mais il est un point sur lequel les deux hommes ne paraissent pas près d’accorder leurs violons : la présidentielle programmée le 19 août. Certes, ce sont les sénateurs et non point l’ensemble des électeurs qui trancheront entre les candidats. Faute de suffrage universel direct comme en juin 1993, le score majoritaire du Frodebu de l’époque reste purement indicatif. D’autant que, une décennie de guerre plus tard, le parti historique a éclaté sur des divergences stratégiques : lutte armée ou combat purement politique. Pour autant, nul ne doute que ses deux figures, le Frodebu et le CNDD, arrivent en poids lourds dans la bataille présidentielle. Mais s’ils défendent une cause commune, ils ne sont pas disposés à réclamer l’héritage de Melchior Ndadaye derrière un candidat unique.


par Monique  Mas

Article publié le 10/05/2005 Dernière mise à jour le 10/05/2005 à 18:17 TU