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République démocratique du Congo

Le « Fléau de l’Or »

Selon Human Rights Watch, environ 60 millions dollars d’or congolais ont été exportés d’Ouganda en 2003, la majorité à destination de la Suisse.(Photo : AFP)
Selon Human Rights Watch, environ 60 millions dollars d’or congolais ont été exportés d’Ouganda en 2003, la majorité à destination de la Suisse.
(Photo : AFP)
Selon Human Rights Watch, une société sud-africaine a rétribué une milice pour exploiter une mine d’or dans le nord-est de la République démocratique du Congo, participant ainsi aux atrocités qui sont commises dans cette région.

De notre correspondant à Kampala

«On est maudits à cause de notre or», confie un chercheur d’or congolais à Human Rights Watch. En République démocratique du Congo (RDC), deux ans après le départ des armées d’invasion rwandaise et ougandaises, le pillage continue, notamment à travers des entreprises internationales.

Dans un rapport publié mercredi dernier, Le Fléau de l’Or, cette association de défense des droits de l’Homme basée à New York accuse une filiale du conglomérat minier sud-africaine, Anglo American, d’alimenter la violence dans l’Est de la RDC.

Cette filiale, Anglogold Ashanti, a racheté en 1996 la plus grosse concession d’or de l’ex-Zaïre, celle de Kilomoto. Les mines les plus importantes se situent sur les hauteurs d’une colline boisée au sol baigné de sang, à Mongbwalu. Elles contiennent probablement des centaines de tonnes d’or.

L’Anglo American, l’un des plus importants producteurs d’or au monde, fait donc partie de ces rares compagnies qui ont pris le risque d’acheter des concession alors que l’ex-Zaïre venait de se muer en République démocratique du Congo. Etrange pari, conclu alors que les armées rwandaises, ougandaises et angolaises, occupaient encore le pays, avec la bénédiction du défunt président Laurent-Désiré Kabila et des États-Unis.

Mais Anglogold Ashanti n’a jamais pu récupérer ses billes. Quelques mois plus tard, Laurent-Désiré Kabila s’est retourné contre ses parrains dans l’espoir de se maintenir au pouvoir. Depuis cette époque, l’Est de la République démocratique du Congo est perpétuellement en guerre par milices tribales interposées. L’Ituri, en particulier, où se trouve la mine d’or de Mongbwalu, a été l’objet d’une lutte acharnée entre les alliés d’hier : le Rwanda, l’Ouganda et l’armée gouvernementale.

Depuis 1998, Human Rights Watch estime que plus de 60 000 personnes sont mortes assassinées dans cette région. La tension persiste. Jeudi dernier, deux employés de Médecin sans frontières, dont une Française, se sont fait enlever, au nord de Bunia, par des hommes en armes non identifiés. Le même jour, dans la même région, un casque bleu s’est fait tuer par des miliciens du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI).

Dirigé par Floribert Djabu, un homme court et placide, le FNI est l’un des plus puissants mouvements armés de la région de l’Ituri. Après avoir pris les armes pour défendre leurs intérêts face à l’occupation ougandaise en 1999, ces miliciens aux bases tribales se sont transformés en hommes d’affaires. Avec le soutien de l’armée ougandaise, ils ont chassé, en mars 2003, des milices adverses armées par le Rwanda des mines de Mongbwalu. Depuis, le FNI, y règne en maître absolu.

«C’est moi qui ai donné à [AngloGold] Ashanti la permission de venir à Mongbwalu. Je suis le patron de Mongbwalu. Si je veux les chasser, je le ferai», déclare Floribert Djabu.

Aucune incidence sur la mainmise du FNI sur le trafic d’or

Les méthodes de ses milices sont extrêmement brutales. «Les combattants FNI viennent chaque matin et font du porte-à-porte. Ils se séparent pour trouver de jeunes gens et ils en prennent environ soixante à la rivière Agula pour trouver de l’or… Ils sont contraints de travailler. Si les autorités essaient d’intervenir, ils sont battus», confie un témoin, cité par Human Rights Watch.

Jusqu’en 1994, Ashanti a adopté une attitude prudente. Elle a opportunément ouvert un bureau à Kampala, par où transite la plupart de l’or pillé dans le nord-est de la RDC. Selon Human Rights Watch, environ 60 millions dollars d’or congolais ont été exportés d’Ouganda en 2003, la majorité à destination de la Suisse.

En 1993, a la suite de la nomination d’un gouvernement de transition en RDC, la compagnie minière a retrouvé les listes des anciens ouvriers de la mine et les a dédommagé. Histoire de rappeler à chacun que c’était bien elle le vrai patron et qu’elle comptait bien se mettre bientôt au travail.

Cependant, les troupes gouvernementales n’ont jamais pu se déployer dans cette province troublée. Les miliciens du FNI ont ainsi continué de s’enrichir sur la mine d’or de Mongbwalu, avec le soutien notamment d’hommes d’affaires Nande, basés à Butembo, plus au Sud et d’officiers ougandais.

La Mission d’observation des Nations unies au Congo (Monuc) s’est finalement installée à Mongbwalu en 2004. Ashanti, s’est alors cru autorisée, avec l’accord du gouvernement de Kinshasa, à y débuter enfin, officiellement, ses activités. Mais la présence de la MONUC à Mongbwalu n’a eu aucune incidence sur la mainmise mafieuse des miliciens du FNI sur le trafic d’or. Ashanti s’est donc vite trouvé confronté à une évidence : Pour travailler à Mongbwalu, il fallait toujours, concrètement, le soutien non seulement de la MONUC et du gouvernement, mais aussi des milices. C’est dans ce contexte, que la compagnie aurifère a reconnu avoir donné de l’argent au FNI, «à contre cœur et sous la contrainte». Une «collusion», rétorque Human Rights Watch.

«En entrant en relation avec le FNI qui disposait d’un contrôle effectif sur la zone minière de Mongbwalu, Anglogold Ashanti a procuré au FNI des avantages matériels et un certain prestige. Ces ressources ont pu en retour être utilisées pour approfondir le contrôle du FNI sur la région et contribuer à résister aux efforts du gouvernement de transition, des Nations unies et d’autres acteurs pour mettre un terme à la violence et aux abus contre les droits humains en Ituri», dénonce l’organisation de défense des droits de l’homme.

L’évidente culpabilité de cette compagnie sud africaine ne saurait pourtant cacher les activités de nombreuses autres compagnies internationales, notamment américaines, qui sous couverts de compagnies locales opèrent dans l’Est de la République Démocratique du Congo, en connivence avec des groupes armés soutenus par des réseaux proches des gouvernements ougandais et surtout Rwandais.


par Gabriel  Kahn

Article publié le 06/06/2005 Dernière mise à jour le 06/06/2005 à 11:24 TU

Pour en savoir plus :

Le site de Human Rights Watch